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Sébastien Fritsch, Ecrivain
5 mai 2010

Steve Hodel - L'Affaire du Dahlia noir

Après avoir lu Le Dahlia Noir, de James Ellroy, j'ai été fortement intrigué de découvrir, dans une étagère de la bibliothèque municipale où j'ai mes habitudes, un volume intitulé L'Affaire du Dahlia noir. Un plagiaire ? Un jeune écrivain désireux de surfer sur la célébrité d'Ellroy ? Non, Steve Hodel n'est rien de tout cela : il est un ancien flic du Los Angeles Police Department, à la retraite depuis plus de vingt ans. Et son livre n'est pas un remake de celui d'Ellroy ; ce n'est d'ailleurs pas un roman : là où Ellroy bâtissait une intrigue autour d'un fait divers ignoble et créait les personnages qui lui permettaient de dépeindre le Los Angeles des années quarante, Hodel, lui, s'en tient à la réalité des faits. Et, tandis qu'Ellroy était obligé d'inventer une solution à un meurtre jamais résolu (et qu'il créait, par la même occasion, les conditions pour expliquer l'impossibilité de le résoudre), Hodel nous propose tout autre chose : la vraie solution, c'est-à-dire le nom de l'assassin de Betty Short, alias le Dahlia noir, et les raisons pour lesquelles cette solution, connue à l'époque, a été étouffée par le LAPD.
Mais pourquoi Steve Hodel ne s'est intéressé à cette affaire qu'au début des années 2000 ? Cela s'explique par le fait que sa curiosité sur le sujet n'a été attisée qu'après le décès de son père,  le Docteur George Hodel, survenu en 1999. Un homme au destin extraordinaire, pianiste prodige à 9 ans, qui a bourlingué en Chine et aux Philippines, qui a connu beaucoup de grands noms d'Hollywood (il était très proche de John Huston et de Man Ray), qui a été marié de nombreuses fois, a multiplié les conquêtes extraconjugales, a été chauffeur de taxi, journaliste, homme d'affaire, photographe amateur, et, surtout, médecin, un richissime médecin, d'abord chirurgien, puis psychiatre, et qui fut très haut placé dans les services médicaux de la Cité des Anges. 
A la mort de cet homme, son fils Steve découvre dans ses affaires un petit album photo dans lequel apparaissent diverses personnes proches du défunt : ses enfants, quelques unes de ses ex... et une jeune femme, photographiée dans des poses lascives, et qui ressemble fort à Elisabeth Short. Intrigué, Steve Hodel va se lancer dans des investigations qui vont le mener à cette conclusion : l'assassin du Dahlia Noir était son père, George Hodel ; et cette femme n'est pas la seule qu'il ait tuée.
hodel_l_affaire_du_dahlia_noirAnalyses graphologiques, recoupements de multiples témoignages, coïncidences entre les meurtres et ressemblances avec des oeuvres de Man Ray, que le docteur Hodel admirait, l'auteur s'appuie sur des éléments très troublants, il faut le reconnaître, pour justifier cette conclusion. Par ailleurs, son livre est assez bien construit (il reconnait, à la fin, avoir été aidé pour cela... mais on s'en serait douté). On en ressort convaincu, mais avec quand même quelques interrogations qui viennent, malgré tout, nuancer cette conviction : des portraits robots criant de ressemblance avec le docteur Hodel... mais sans moustache (alors que celle qu'on voit sur la couverture du livre est quand même assez caractéristique), une insistance sur des détails qui semblent secondaires (notamment la présence près des lieux de plusieurs crimes d'une berline noire... quoi de plus banal ?) ; ou encore la façon avec laquelle Steve Hodel s'apesantit sur les raisons qui ont poussé le LAPD à étouffer l'affaire à l'époque, raisons qui sont exposées avec de multiples conditionnels dont on attend toujours confirmation. Par ailleurs, cette partie-là du livre, à l'inverse de l'enquête elle-même, tourne un peu en rond, comme si Steve Hodel pensait pouvoir convaincre en rabâchant.
Quoi qu'il en soit, ce livre, sans être de la grande littérature, reste tout de même prenant : même si on connait dès le départ le nom du coupable, on veut savoir si la démonstration est sérieuse et, surtout, si elle obtient, finalement, des confirmations issues du dossier lui-même (mais là, je ne peux rien dire, pour garder un peu de suspense). Par ailleurs, ce texte est également fascinant par l'image qu'il donne d'un monde étrange dans lequel raffinement, élégance, plaisirs, perversité, cruauté, étaient les ingrédients d'un mode de vie réservé à une élite riche et cultivée. Mais peut-être cela n'est-il pas propre au LA d'après-guerre  ?

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Commentaires
G
Je viens de terminer la lecture du livre de Don Wolfe :"Le dossier Dahlia Noir". Cet auteur avait précédemment écrit "Marilyn Monroe. Enquête sur un assassinat". J'avais apprécié cet ouvrage, ou l'atmosphère politique de l'époque (l'ère des Kennedy) était décrit dans ses moindres détails.<br /> <br /> Plusieurs temps forts se dégagent de ce livre bien structuré, et bien écrit.<br /> <br /> Le jour même de la découverte du corps d'Elisabeth Short, deux inspecteurs de police, Case et Ahern, en suivant fortuitement un groupe de truands, découvrirent sans aucun doute l'endroit où Beth fut sequestrée et tuée : il y avait du sang partout, et les 4 truands venaient pour nettoyer. L'un des 4, Bugsy un chef de la mafia de L.A., tueur patenté et psychopate tendit une carte aux policiers :"Celui qui détient cette carte est un ami. Tout service que vous pourriez lui rendre sera le bienvenu". Le message était suivi de la signature de Jack Donahe et de son numéro de téléphone. Donahe était l'un des chefs de la police et vint aussitôt qu'on l'eut appelé. Il arrangea l'affaire, et dit aux policiers de ne rien dire. Les hauts fonctionnaires de police étaient à cette époque fortement corrompu, et touchaient d'énormes pots-de-vin. L'affaire Elisabeth Short était enterrée!! <br /> <br /> Autre temps fort : l'interview par l'écrivain d'investigation John Gilmore, de Jack Anderson Wilson (alias Smith), petit truand voleur, mais néanmoins meurtrier (il faisait partie du groupe des 4, appréhendés par les deux inspecteurs). Il donne des détails absolument ahurissant sur les circonstances du kidnapping et de l'assassinat d'Elisabeth, jusqu'à mentionner l'usage du sac de ciment retrouvé près du corps de la suppliciée. Smith avoue également être l'auteur du meurtre de Georgette Bauerdorf. Mais Gilmore commit une erreur : il publia dans un journal local une partie de ses interview, et quelques jours plus tard Smith fut retrouvé, brûlé vif dans l'incendie criminel de sa chambre.<br /> <br /> Don Wolfe parle également du livre de Steve Hodel : "L'Affaire du Dahlia Noir". Il démolit complètement l'hypothèse de l'auteur (George Hodel meurtrier), et conclut : rien ne permet de de prouver que le docteur Hodel connaissait Elisabeth Short ou était impliquée même de loin dans le meurtre. Ses arguments :<br /> <br /> - les deux photos retrouvées dans l'album de G. Hodel ne sont pas celles d'E. Short. La famille d'Elisabeth aisi qu'un expert ont réfutés l'affirmation de Steve Hodel.<br /> <br /> - la mise en scène "à la façon de Man Ray" du cadavre d'Elisabeth est tout à fait fortuite : en effet celle-ci était attachée par une corde aux tuyaux de la salle de bain, les bras en arrière, la rigidité cadavérique ayant conservé cette position.<br /> <br /> - G. Hodel n'a pas pu adressé un télégramme à Elisabeth, car la date apparait sur ce télégramme (ce qui a échappé à Stève Hodel). A cette date G. Hodel n'était pas à Washington, le lieu d'envoi du télégramme.<br /> <br /> - etc... Don Wolfe démolit ainsi 12 affirmations de Stève Hodel.<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, Stève Hodel n'est pas le seul à avoir accusé leur père d'être le tueur : Janice Knowlton dans "Daddy Was the Black Dahlia Killer" fait de même, sans aucune preuve note l'auteur.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour ceux qui n'aurait pas lu le livre de Don Wolfe, j'invite fortement à le faire, et à comparer certains chapitres avec ceux de Stève Hodel.
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L
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Je corresponds avec Steve depuis des années. Je lui avais envoyé un mail dans lequel je me déclarais clairement convaincu par ses théories. Il m'a reçu à Los Angeles en 2008, à l'occasion de mon voyage aux Etats-Unis. C'est devenu un ami avec qui je corresponds toujours régulièrement. C'est un personnage à la fois modeste et fascinant. Fascinant comme l'est cette affaire, emblématique du Los Angeles des années 1940, pourri par le vice et la corruption. Un univers qui ne pouvait que fasciner Ellroy, écrivain extraordinaire... et lui-même assez "perturbé", dirons-nous pour faire court. Les deux hommes ont un lien qui va bien au-delà de leurs livres respectifs. Je suis aussi convaincu que Steve a découvert le nom de l'assassin de la mère d'Ellroy. C'était un certain Sexton, un sculpteur sans le sou qui habitait la Franklin House, propriété de George Hodel. Dans son livre Ma Part d'Ombre, fabuleuse autobiographie, Ellroy, qui y raconte sa propre enquête sur l'assassinat de sa mère, parvenait à des conclusions qui cadrent parfaitement avec les recoupements faits par Steve. Selon ce dernier, Sexton a été le complice de George Hodel dans plusieurs de ses assassinats, et a eu sa "carrière solo", une de ses victimes étant la mère de Ellroy. Tout cadre, encore une fois, parfaitement, jusqu'à la description de Sexton, longiligne et légèrement basané... Ellroy ira même jusqu'à dire, à propos des conclusions de Steve, "Maintenant je sais". Avant de trahir Steve un peu plus tard, au nom du dieu Argent, au moment de la sortie du film de De Palma. Il ne fallait surtout pas que les thèses de Steve, basées d'un bout à l'autre sur la réalité des faits, viennent faire de l'ombre à la fiction, malgré tout extraordinaire, écrite par Ellroy, qui a été rappelé à l'ordre par ce que Steve appelle "les Studios", qui avaient versé ses droits à Ellroy pour son livre. Il y a toujours une justice : le film de De Palma, raté, a été un échec cuisant. <br /> <br /> <br /> <br /> Ceci étant, monsieur Fritsch, je vous félicite pour la qualité de votre article et vous souhaite tout le meilleur.<br /> <br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> Luc Zanaroli
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G
Apparemment, le livre de Don Wolfe : "Le dossier du Dahlia noir" va à l'encontre de la thèse exposée par Stève Hodel. L'auteur propose comme assassin un autre chirurgien. J'ai commandé le livre, et je publierai mes remarques, lecture faite.
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G
Apparemment, le livre de Don Wolfe : "Le dossier du Dahlia noir" va à l'encontre de la thèse exposée par Stève Hodel. L'auteur propose comme assassin un autre chirurgien. J'ai commandé le livre, et je publierai mes remarques, lecture faite.
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S
@ Alima : merci pour votre commentaire. Non, je ne sais pas si Steve Hodel a eu des contradicteurs qui ont exposé leurs visions des choses par écrit. Effectivement, ça leur demanderait un travail énorme pour démonter les thèses de Hodel. Autant que lui-même en a fourni.
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