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Sébastien Fritsch, Ecrivain
30 avril 2010

Patrick Modiano - L'Horizon

Un roman de Modiano, c'est comme une promenade. D'ailleurs, celle-ci, j'ai souhaité la faire deux fois de suite. J'avais eu l'impression, lors de mon premier passage, d'avoir raté quelques détails du parcours. Alors je suis reparti, dans les mêmes rues parisiennes, mais aussi à Lausanne, à Annecy, à Berlin... sur les traces de Margaret. Et plus encore que les déplacements d'un lieu à l'autre, ce sont surtout les aller-retour de l'auteur dans les méandres du temps qu'il m'a fallu suivre... comme dans tout bon roman de Modiano.

Modiano_L_Horizon

Pourtant, dans L'Horizon plus que dans tout autre de ses romans, j'ai l'impression que l'auteur n'a pas seulement cherché à ranimer le passé : il a surtout voulu s'interroger sur le visage que peut présenter ce passé, aux yeux d'un habitant du temps présent.  
Ainsi, même s'il tisse une intrigue tout au long de ses pages, Patrick Modiano veut avant tout entendre les questionnements de son personnage principal, Jean Bosmans. Celui-ci, présenté la plupart du temps à la troisième personne mais osant, de loin en loin, quelques phrases en "je", analyse sa perception actuelle des moments passés de son existence. Bien sûr, comme dans tout bon roman de Modiano, cet homme parle de son passé comme un exilé parle de sa terre lointaine, en sachant qu'il ne la reverra jamais. Mais on ne sait s'il ressent vraiment du regret pour ces moments ou l'incertitude le disputait à l'inquiétude. Comme tout bon personnage de Modiano, Jean Bosmans semble froid, presque absent, comme s'il se contentait de regarder sa vie se vivre sans lui. C'est un type grand et costaud, qui prend de la place, physiquement, mais qui ne veut surtout pas faire de vagues. Alors il dit souvent oui, pour tout et pour rien, pour aller boire un verre, pour signer un formulaire de demande d'emploi, pour laisser partir Margaret, dans un train de nuit. 
Et le voilà donc, aujourd'hui, après avoir laissé couler quarante ans de son existence. Et il se demande ce qu'il lui reste de ce qu'il a vécu quarante ans plus tôt, auprès de Margaret. Et il ne voit que des fragments, des noms ou des prénoms, des images furtives de lieux disparus, rasés, reconstruits, modernisés ; quelques mots échangés avec des personnes de passage, qui l'intimidaient, par leur air hautain, leur ton moqueur ou leur prestance ; et qui ont pourtant toutes connu le même sort : disparues dans les méandres du temps.
Entre toutes ces petites lumières du passé qui continuent de briller dans son esprit, Bosmans ne voit qu'une "matière noire", un vide qui empêche de relier toutes les pièces du puzzle. Et finalement, lui viennent ces questions : est-ce que tout cela a vraiment existé ? Est-ce que ces gens ont vraiment disparu ? Est-ce qu'il ne vont pas resurgir, inchangés, à ce coin de rue ou devant cet immeuble où je les ai vus pour la dernière fois, il y a quarante ans ? 
Même si je l'ai trouvé moins envoûtant que Dans le café de la jeunesse perdue ou Du plus loin de l'oubli, ce roman est riche de ces questionnements qui parlent à chacun de nous et, encore plus riche, évidemment, de la douceur du style de Modiano, apparemment désabusé et lent, et pourtant solide, précis, puissamment évocateur.

Voici un petit extrait, qui donne une bonne idée de l'état d'esprit de Jean Bosmans ; ce sont les réflexions qu'il se fait tout en marchant dans Berlin, vieux et solitaire :

"Mais cette ville a mon âge. Moi aussi, j'ai essayé de construire, au cours de ces dizaines d'années, des avenues à angle droit, des façades bien rectilignes, des poteaux indicateurs pour cacher le marécage et le désordre originels, les mauvais parents, les erreurs de jeunesse. Et malgré cela, de temps en temps, je tombe sur un terrain vague qui me fait brusquement ressentir l'absence de quelqu'un, ou sur une rangée de vieux immeubles dont les façades portent les blessures de la guerre, comme un remords"

L'Horizon m'a été offert par Alapage.com que je tiens à remercier ici. 

 

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Commentaires
S
@ Claudio : avec Modiano, la tristesse ambiante est très souvent une joie pour le lecteur. Je te souhaite de découvrir ce roman (une ou deux fois, à toi de voir) avec beaucoup de plaisir.
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C
Les deux Modiano précédents ne m'ont pas déçu et j'espère que celui-ci fera pareil ou mieux. Ce que je retiens tout spécialement de ton article, c'est cette invitation à une "deuxième promenade". Certes, les tristesses que l'on n'avait pas rencontré à la première lecture et que l'on croise à la deuxième deviennent souvent des joies. <br /> <br /> Voilà un autre roman sur ma PAL de l'été !
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