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Sébastien Fritsch, Ecrivain
22 juillet 2020

Emmanuelle Caron - Tous les âges me diront bienheureuse

Roman étrange, cruel, sombre, violent et pourtant parcouru par quelques traits de lumière, aussi vive que fugace : souvenirs d'enfance, paysages, douceur du partage entre générations...
Roman instructif, aussi. Je ne savais pas, par exemple, que des béninois (et de nombreux autres ressortissants de pays africains communistes) avaient été envoyés se "former" chez le grand frère soviétique - expérience souvent douloureuse, non seulement à cause du décalage climatique, mais surtout de la difficulté de se retrouver seul (ou presque seul) homme noir à Leningrad, dans une société très blanche et peu ouverte à la différence, voire trop prompte à éliminer l'élément jugé inacceptable de par cette différence.
Roman féminin (peut-être féministe) tracé sur le parcours de trois personnages de la même lignée (Ilona, Mina, Eva). Une lignée marquée par la violence, les excès, la solitude, la fuite, mais aussi la détermination, la force, la fidélité aux siens (aux siennes, en l’occurrence) et quelques éclats de tendresse ou d'attirance qui parfois ressemblent à l'amour.
Les hommes n'ont ici que des rôles secondaires ; qui s'avèrent néanmoins cruciaux puisqu'ils seront à l'origine de chaque basculement dans le destin des femmes qui sont au centre de toute l'histoire.
Roman étonnant aussi par sa structure, qui joue sur l'entrelacement des époques (ce qui est assez répandu, mais bien maîtrisé ici, même en l'absence de tout repère chronologique) et sur les vides, qu'il s'agisse de sauts dans le temps ou de sous-entendus. J'aurais apprécié de voir combler certains de ces "trous dans le CV" des héroïnes, notamment ce qui concernent les fuites successives d'Ilona ; mais l'autrice n'a pas fait ce choix et c'est son droit, évidemment (et il est respectable).
Voilà donc, jetées pèle-mêle, quelques caractéristiques de ce roman. Mais sa qualité essentielle est ailleurs : dans son style. Riche, savant parfois, précis, documenté, évocateur, rythmé, il est d'une beauté parfois douloureuse (les scènes de mort, la scène d'accouchement (douloureuse, émouvante et attendrissante à la fois) et tant d'autres). Mais cette beauté de la plume est toujours présente et vraiment impressionnante. Une telle écriture donne l'envie d'employer pour cet ouvrage un mot qui s'applique à peu de livres publiés actuellement : littérature.

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