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Sébastien Fritsch, Ecrivain
21 juillet 2007

Trois belles écritures

Avant et après « La Fête au Bouc » de Vargas Llosa (et parce que je n'arrive pas à me résoudre à reprendre "l'Elégance du Hérisson", bloqué depuis des semaines à la page 165), je me suis penché sur des bouquins plus courts, mais qui n'en sont pas moins très agréables.
1) « Stupeurs et Tremblements », d’Amélie Nothomb
2) « Ceux qui vont mourir te saluent », de Fred Vargas
3) « Je suis écrivain », de François Weyergans 

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Trois styles, trois genres, trois récits très différents, mais que j’ai tous appréciés (pour des raisons... très différentes).

1) Amélie Nothomb, c’est Amélie Nothomb. C’est comme le Nutella : on achète la marque pour être sûr du goût. Et le goût de ce Nothomb-là, c’est comme le goût des autres Nothomb : autant de « Moi-Je » que d’huile dans le Nutella, des farfeluteries à la place du cacao, du Japon à la place du lait en poudre, et, quand même (ce que je préfère et qui reste inimitable) : le goût de la noisette. Et la noisette d’Amélie (tu permets que je vous appelle Amélie ?) c’est son écriture : toujours splendide, musicale, précise, imagée, belle, en somme, y compris lorsqu’il s’agit de décrire les situations les plus triviales (et/ou dégradantes).
Mais c’est comme le Nutella : en petite quantité ça va, mais n’allez pas vous enfiler le pot super-promotionnel de 3 kg d’un coup. Amélie doit le savoir, puisqu’elle limite toujours le poids de ses productions. Malgré tout, malgré le calibrage des productions Nothombesque, je dois quand même reconnaître qu’il existe une différence avec le Nutella : alors que le goût de la pâte à tartiner italienne est identique depuis quarante ans, celui des œuvres de la femme au(x) chapeau(x) peut varier grandement d'un millésime à l'autre. Sur l’échelle de saveur je place donc « Stupeurs et tremblements » vers le milieu (sachant qu’en haut il y a « Hygiène de l’Assassin » et en bas « Le Sabotage Amoureux »).

2) Fred Vargas, c’est Fred Vargas : meilleur que le Nutella ! Franchement, à part “L’Homme aux Cercles Bleus”, qui m’avait un peu déçu, je lis toujours mon archéologue préférée avec plaisir. Comme pour Amélie, le gros point fort de Fred (tu permets que je vous appelle Fred ?), c’est l’écriture. Heureusement, elle est quand même moins écœurante. J’aurais même tendance à trouver le pot trop petit. En effet, dans l’écriture de Fred on trouve, en plus de la précision chirurgicale qui est l’un des secrets de ses « rompol », tous pleins d’ingrédients hautement goûteux : de la souplesse, de la vivacité, de l’humour.
Pourtant, je crois que ce n’est pas simplement à cause de son écriture que j’aimerais avoir des pots de Fred Vargas plus imposants. Il y a aussi l’ambiance, les personnages (tous tellement bien campés, par leurs langages, leurs gestuelles, leurs états d’âmes personnalisés avec précision, sans être caricaturaux) et, bien sûr : l’intrigue ! Le grand truc de Fred, c’est l’intrigue. Ben oui, c’est une horlogère de l’intrigue. Elle excelle pour nous mener par le bout du nez, pas à pas, dans la direction qu’elle veut, puis pour nous pousser dans l’escalier quand elle décide qu’elle nous a bien baladés sur toutes les fausses pistes qu’elle avait tracées. Magistral.

3) François Weyergans, c’est François Weyergans. Enfin, je suppose, puisque c’est le premier bouquin de lui que je lis. Le titre m’a attiré (surtout le substantif qui s’y trouve), puis le contenu m’a séduit (je l’ai découvert peu à peu puisque je n’avais pas lu la quatrième de couverture - voir note 1 ci-dessous - mais en fait la quatrième de couverture, dans ce cas, peut se lire - voir note 1 ci-dessous).
C’est assez déroutant, ces histoires dans l’histoire, ces digressions japonaises (tiens, encore !) ou philosophiques, ces anecdotes, amusantes ou émouvantes, ces saynètes juxtaposées, liées entre elles ou non. On se laisse mener, là aussi. Ce n’est pas par le bout du nez (il n’y a pas d’intrigue, de ruse, de fausse piste), mais plutôt par le bout du cœur. Du moins, si on se laisse faire, attraper, attendrir, intriguer par les personnages, leurs vies, leurs doutes, leurs inquiétudes. Peut-être y en a-t-il quelques unes que je crois connaître. Le bouquin parle effectivement d’écrivains (le titre, assez nul, quand même, a le mérite d’être clair). Ils sont présentées en poupées russes : c'est l'histoire d'un écrivain qui parle d'un écrivain. Le tout écrit par un écrivain, évidemment. Sont-ils trois ? Un seule ? Une foule ?
Ah oui, j’oubliais : ce qui m’a plu aussi dans ce roman, c’est… devinez ? L’écriture ! Bravo ! Eh oui, une belle écriture, encore une fois… ce qui ne veut rien dire, mis à part ce que je veux que ça dise. Alors, qu’est-ce que j’ai bien pu vouloir dire en utilisant l’expression « belle écriture ». De jolis petits tableaux dépeints avec justesse, des pensées et questionnements d’écrivain évoqués avec… justesse. De l’humour, de la poésie parfois. Et quoi d’autre ? Je ne sais pas. En tout cas, c’est une écriture plaisante, attirante. Peut-être même envoûtante. Plus consistante que celle d’Amélie en tout cas. Peut-être parce qu’il y a plus de petits évènements concrets. Un peu plus de vie réelle (même si à certains moments on croit lire des délire qui planent au dessus des nuages). Allez savoir. Et allez lire la note 2 ci-dessous aussi, tant que vous y êtes.

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Note 1 : Evidemment, pour aucun de ces trois romans, je n’avais lu la quatrième de couverture. Je me refuse catégoriquement à lire les quatrièmes de couverture. Il faudrait d’ailleurs interdire les quatrièmes de couverture. Ou alors, il faudrait imposer que ce soit les auteurs eux-mêmes qui les rédigent. Pensez donc ! ce pauvre auteur qui s’échine à bâtir son intrigue, à apporter peu à peu, selon l’ordre et le rythme qu’il souhaite, les éléments qui permettront au lecteur d’avancer et paf ! le mec qui lui fait sa quatrième de couverture fout tout par terre en révélant (au minimum) le contenu des cinquante premières pages.
Exemple : « Ceux qui vont mourir te saluent ». Fred Vargas présente ses personnages, les relations entre eux, puis elle les amène à devoir se rencontrer lors d’une soirée. Et là, paf-bis ! Un mort. Pour celui qui n’a pas lu la quatrième de couverture, c’est la surprise. On s’attendait bien à ce qu’il y ait un mort (sinon, c’est pas un rompol), mais on ne savait pas qui ni quand ni où. La surprise est donc réelle et réellement bien amenée par Dame Vargas (vous permettez ?). Or, que ne lit-on pas sur la quatrième de couverture (que j’ai quand même lue, après avoir fini le roman) ? Eh bien on apprend, au bout de quatre lignes, le nom de celui qui va mourir ainsi que le lieu et l’heure du crime. Alors là, je dis : bravo ! Pour du sabotage, c’est du beau sabotage ! N’y a-t-il vraiment pas moyen d’écrire un texte de présentation qui saurait être attirant tout en gardant les secrets du livre ? En présentant les personnages, en dévoilant partiellement les idées qui sous-tendent le récit ou je ne sais quoi d’autre. Si au moins, dans le cas présent, on avait pu éviter de révéler l’identité de la victime ! Mais est-ce trop en demander aux rédacteurs de quatrièmes de couverture ? Pensent-il qu’on ne lit un roman policier (par exemple), que pour essayer de découvrir le nom du criminel ? Que l’on se fout complètement de ce qu’il y a avant ? Un travail d’analyse du roman, puis un travail de construction de leur petit texte, pour qu’il soit beau et aguichant malgré sa brièveté et malgré (ou grâce à) tout ce qu’il cache, cela serait quand même bien vu de la part des rédacteurs de quatrième de couverture, non ?
Bon, évidemment, si c’est Fred Vargas elle-même qui a écrit cette quatrième-là, qu’elle m’excuse pour cette critique. Mais qu’elle y pense pour la prochaine fois. Je ne le répèterai pas, hein ? C’est juste un conseil d’ami, mais quand même.

Note 2 : Le seul roman dans lequel quelques phrases m’ont frappé est celui de Weyergans. Quand je dis frappé, c’est qu’elles m’ont arrêté dans ma lecture, du fait de leur sens ou de leur musicalité. Je me suis arrêté, je les ai relues, puis j’ai continué la suite du récit avec l’envie de les retenir. Toutes les phrases que j'ai pu citer ou que je citerai sur ce blog sont des phrases qui m’ont produit le même effet (arrêt/relecture/souvenir).
C’est peut-être cela la définition de la « belle phrase », au sujet de laquelle s’interrogeait Jérémie Vanden il y a quelques semaines (en tout cas, ça l'est pour moi). Et, si je reprends les trois exemples d’écrivains dont j’ai parlé ci-dessus, on peut avoir une belle écriture sans obligatoirement faire des belles phrases. L’ensemble peut être beau, sans qu’aucune phrase ne puisse être individualisée. Tout simplement parce qu’elle ne porte pas assez de sens ni assez de musicalité pour rester belle indépendamment des autres. A l’inverse, on peut faire de belles phrases et des romans affreux. Eh oui, si le seul but, c’est de faire de la belle phrase, on la lâchera comme un chien au milieu d’un jeu de quille, ou alors on la multipliera, enchaînant comme sur un chapelet de saucisses des aphorismes moralisateurs et des sentences poético-larmoyantes.
Le but de celui qui commet ce genre de charcuterie grasse (je ne cite personne) est peut-être de démontrer qu'il sait non seulement écrire mais également penser. Mais en voulant procurer trop de joie au lecteur d'un seul coup, on parvient surtout à lui donner la nausée. Une belle nausée, certes, mais une nausée quand même.
Voici donc quelques phrases volées chez Weyergans :
- "Je préfère les souvenirs qui me reviennent en écrivant à ceux qui me reviennent en rêvant."
- "Il n’y a pas de littérature qui s’apprenne. Lequel d’entre nous la possède ? Comment la reconnaître ? Où est-elle ? On ne peut qu’apprendre à écrire."
- "Je dois être un peu dérangé pour passer des nuits d'amour avec une machine à écrire plutôt qu'avec une femme."
- "A force de dire que l’être humain se conduit comme un rat qu’on oblige à se conduire comme un être humain conditionné par d’autres êtres humains qui se conduisent comme des rats, on oubliait de dire que l’être humain peut aussi se conduire comme un papillon."
- "L’audace est une vertu qui n’a pas la carrière qu’elle mérite. Elle vaut mieux que l’espérance, la foi ou la charité. Je manque souvent des quatre." - "L’enthousiasme est à éviter dans les romans. Rien ne se démode plus vite. Se mettre à écrire avec enthousiasme devrait suffire. »

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Commentaires
K
SALUT LES AMI
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