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Sébastien Fritsch, Ecrivain
5 mai 2019

Uršuľa Kovalyk - L'Ecuyère

Uršuľa Kovalyk - L'Ecuyère

Dans la Tchécoslovaquie des années 80, Karolina et Romana sont deux pré-adolescentes à la vie morne. Coincées dans des familles bizarres (voire malsaines), piègées dans des corps contournés et maladroits, enfermées dans un pays que régente la propagande socialiste, isolées des autres jeunes par leurs esprits trop indépendants et leurs comportements peu conventionnels, elles trouvent enfin une échappatoire à ces multiples prisons. Et c'est un troisième personnage, tout aussi central, qui leur offre cette possibilité d'évasion : Cecil.
Cecil, qui deviendra leur meilleur camarade de jeu, n'est pas un enfant de leur âge : c'est un vieux cheval, peu gracieux, mais qui a su rester fier et se montre, surtout, très coopératif quand les deux jeunes filles, encouragées par une monitrice de l'école d'équitation, se lancent dans un défi inimaginable pour leurs corps bancals : faire de la voltige équestre.
Le choix d'un rythme vif et d'un style sobre, aux phrases courtes, sans fioritures, permet à Uršuľa Kovalyk de rendre aussi bien la laideur des décors (nouvelles constructions pas finies ou vieux bâtiments décrépits), que les questionnements et les émois de Karolina, gamine qui devient femme au fil des pages, ou encore la volonté et la force de ces deux acrobates inattendues. Par cette plume très réaliste, l'auteur sait aussi parfaitement évoquer la puissance de la musique (Pink Floyd, King Crimson...) qui transporte Karolina loin de son quotidien gris, et elle parvient à créer toute une galerie de personnages secondaires et, à travers eux, à nous immerger dans la réalité des dernières années de cette république socialiste. On découvre alors surtout des femmes (la mère, la grand-mère, les tantes de Karolina, ainsi que ses coéquipières de voltige) et les quelques hommes qui apparaissent brièvement ou sont même simplement nommés s'avèrent tous peu fréquentables : pervers, ivrognes, violents, dominateurs, ils semblent n'être là que pour démontrer que la moitié de l'humanité ne vaut pas grand chose. Sujet à méditer... Finalement, seul Arpi, un ado marginal qui initiera Karolina aux groupes de rock impérialistes et à la cigarette, relève un peu le niveau de la gent masculine. Et encore...
Dernier point à signaler, le contraste entre ce réalisme, parfois très cru, et le "pouvoir " de Karolina, capable de sonder les âmes des personnes qu'elle croise. Est-ce un effet de son imagination ? une manifestation de son hypersensibilité ? une forme très particulière d'intelligence émotionnelle? ou encore une petite touche de surnaturel dans un univers trop concret ? L'auteur ne nous en dit rien... et c'est très bien ainsi : elle nous laisse le plaisir d'imaginer l'explication qui nous convient. 
En conclusion, L'Ecuyère est un roman élégamment écrit, et plutôt sombre, même s'il est émaillé de scènes d'amitié ou de tendresse maternelle qui posent, de loin en loin, quelques points de lumière. C'est aussi un roman qui permet une plongée dans une époque et un mode de vie révolus, tout en initiant des réflexion sur l'amitié, le dépassement de soi et la place de la différence. Un roman court, mais qui continue à faire réfléchir une fois la dernière page tournée. 

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