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Sébastien Fritsch, Ecrivain
3 mai 2017

Fatou Diome - Celles qui attendent

Celles qui attendent - Fatou Diome

Le titre de ce roman dit tout : "Celles qui attendent" nous fait clairement comprendre que c'est un livre sur les femmes ; et ce verbe attendre dépeint, en seulement quelques lettres, le sort qui leur est réservé.
Car "celles" que l'on suit dans ce livre, ces femmes sénégalaises vivant sur une île à l'embouchure du Siné-Saloum, sont bien au centre de l'histoire ; l'auteur parle d'elles, de ce qu'elles pensent, ressentent, et surtout de ce qu'elles font ; car elles font beaucoup. Les hommes (mis à part quelques pécheurs courageux qui tentent de débusquer les rares bancs de poissons que les chalutiers européens n'ont pas dévalisés), semblent n'être là que pour se faire servir, donner des ordres, mais jamais pour agir. On les voit plus souvent jouer au cartes, palabrer, vitupérer contre leurs femmes, établir des règles qu'ils leur imposent. Mais "faire", non. Alors que les femmes, elles, ont tout à faire : faire les repas, faire la vaisselle, faire le linge, faire ce qu'il faut pour que leurs enfants ne manquent de rien (aller chercher le bois, aller chercher l'eau, aller acheter (avec souvent plus de promesses que d'argent) des produits de première nécessité auprès de l'épicier du village).
Ce qu'elle savent faire, aussi, ce sont des projets : projets de traversée vers l'Europe pour leur fils les plus âgés qu'elles voient désœuvrés et sans le sou ; projets de mariage, aussi, pour les mêmes, selon des règles très particulières. 

Les femmes sont donc au centre du roman, ce sont elles qui font tout... sauf prendre les décisions. Et c'est là que le verbe attendre prend tout son sens. Car en plus de faire, elles passent toute leur existence à attendre : attendre leurs fils aînés, partis en pirogue, au péril de leur vie, vers le nord ; attendre les petits qui vont rentrer de l'école et qu'il faudra nourrir avec les (maigres) moyens du bord ; attendre leur tour pour avoir un peu de considération de la part d'un mari polygame ; attendre que ce même mari leur donne trois sous pour aller payer leurs dettes chez l'épicier ; attendre que la nature accepte de leur donner un petit supplément de nourriture, dans la vase des plages libérées par la marée basse ; ou encore attendre, après la mort de leur conjoint, le temps réglementaire du veuvage. Attendre, toujours attendre. 
Pourtant, ce roman n'est pas aussi dur que ces deux verbes (faire et attendre) pourrait le laisser croire. Car, au fil de ces jours pesants, soumis aux traditions et aux obligations, ces femmes qui attendent trouvent aussi ce qu'elles n'attendaient pas. L'amitié, la connivence entre une belle-mère et sa bru, toutes deux dans l'attente d'un jeune homme parti depuis des années. Et puis, il y a aussi la tendresse pour les petits, ces ventres affamés, même pas nommés par l'auteur, et pour lesquels le personnage central du roman, Arame, se bat jour après jour.
Tous ces sentiments et ces liens font le sel du roman. Mais ce serait oublier aussi la beauté de la plume de Fatou Diome. Parfois quelques longueurs ou quelques phrases un peu biscornues alourdissent légèrement la lecture ; mais, la plupart du temps, les mots sont très finement choisis et agencés avec délicatesse. C'est de la poésie, oui, de la vraie poésie que nous offre Fatou Diome, quand elle parle de sentiments, justement, l'amour, l'amitié, l'espoir ; mais aussi quand elle décrit les usages des habitants de cette région (une découverte pour moi) ou encore quand elle dépeind les décors si particuliers de cette île, soumises aux caprices de l'Atlantique et du sable brûlant. Une île comme une allégorie de ces femmes, qui subissent sans pouvoir changer de latitude. Qui attendent sans vraiment espérer. Et remplissent cette attente de leur énergie, de leur courage et de tout l'amour dont elles sont dépositaires.

Deux citations :
"L'Atlantique poursuivait obstinément sa danse païenne, mais ses fantaisies perpétuelles n'ébranlaient pas l'île : elle était là, fière, immobile, comme une belle acariâtre qui refuse un tango."
"Les lois contre l'immigration changent en permanence, tels des pièges sans cesse repositionnés afin de ne laisser aucune chance au gibier."

 

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Commentaires
A
ce roman de fatou diome peut etre lu comme un monolgue du silence de la condition féminine dans une petite ile du senegal
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M
Ce billet me rend curieuse.
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