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Sébastien Fritsch, Ecrivain
13 février 2017

Françoise Sagan - Un peu de soleil dans l'eau froide

Françoise Sagan - Un peu de soleil dans l'eau froide

Comment un sujet et des protagonistes plutôt banals peuvent donner naissance à un beau roman ? Le secret de cette réussite est sans doute le talent ; mais ce serait un peu court de n'avancer que cet argument. D'autant plus que, personnellement, je suis plutôt réticent à me plonger dans la lecture d'auteurs proclamés "talentueux" par la critique et les lecteurs de manière un peu trop unanime. Je suis bien souvent déçu et m'étonne parfois de cet engouement. Dans le cas de François Sagan, bien sûr, le succès ne date pas d'hier et il doit être possible de dire que s'il a survécu à l'épreuve du temps, c'est sans doute qu'il était justifié.
Mais revenons à ce soleil dans l'eau froide. Sujet banal ? Oui : histoire d'amour entre deux personnes que tout oppose : les origines (Paris/Province), le mode de vie, les goûts. Mais le hasard les rassemble et la passion les unit. C'est alors que se révèle ce qui différencie vraiment ces deux personnages, bien plus encore que le lieu où ils vivent où l'usage qu'il font de leur temps.
Car pour le journaliste parisien à tendance dépressive et alcoolique, la passion est un jeu, de celui qui fait choisir une femme comme on effeuille une marguerite... et qui pousse à la jeter dès que l'amusement se fane. Et dans ce jeu, les états d'âme égotistes, les interprétations, les postures de victime, font partie de la panoplie.
Au contraire, pour la bourgeoise de Limoges, femme de notable oisive, la passion est un engagement, une ligne droite à sens unique. Ses phrases, ses gestes, tout son être ne sont que transparence.
Dans l'esprit du premier, la passion, l'amour physique est un sujet de réflexion ou (selon l'alcoolémie et l'heure de la nuit) de discussion entre hommes, un verre à la main et une clope au bec.
Dans l'esprit de la seconde, l'amour est un mode de vie. Il implique la vérité, totale, même si cela impose de passer des obstacles difficiles. Dans une ligne droite à sens unique, on ne fait pas demi-tour et on ne sort par de la route. Jamais.
Alors si le talent de Sagan existe, on peut aisément lui trouver des arguments dans cette capacité à évoquer, très finement, très précisément, les couleurs si différentes de ces deux esprits antagonistes. Et à construire sur ces bases (la ligne droite de la femme et le tracé sinueux et incertain de l'homme), une intrigue solide ; et qui s'avère, malgré la légèreté du début, irrémédiable.
En plus de cela, la clarté, l'élégance du style viennent aussi appuyer le plaisir de la lecture. Mais ce n'est pas vraiment en plus, puisque sans ce style, il n'est pas évident que le lecteur parviendrait à saisir les démonstrations que fait l'auteur du fonctionnement psychologique de ses personnages. Et il n'est pas sûr que l'envie d'avancer avec eux pourrait être aussi forte.
Enfin, petit détail non négligeable : l'auteur sait aussi manier un humour léger, dont elle use pour se moquer avec la même jubilation de ces mondes (celui des intellos parisiens et celui des bourgeois de Province). Par son écriture, les clichés, habituellement plus lassants qu'amusants, reprennent du mordant.
En conclusion, je dois avouer que je me sens réconcilié avec Sagan, dont je n'avais pas vraiment apprécié Bonjour tristesse. Cela m'avait conduit à négliger cet écrivain jusqu'à maintenant. Je crois qu'il va falloir que je me rattrape. Peut-être en relisant justement son tout premier roman. Mon avis serait peut-être tout autre aijourd'hui.

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