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Sébastien Fritsch, Ecrivain
17 octobre 2016

Hugo Boris - Police

Hugo Boris - Police

Cinquième roman, cinquième univers : Hugo Boris continue de se poser des défis... et de surprendre ses lecteurs.
Il existe pourtant quelques points communs, entre les précédents ouvrages de l’auteur et cette histoire de reconduite à la frontière d’un réfugié tadjik par trois flics parisiens. La voiture de police sert en effet de cadre à un huis-clos, comme l'appartement du professeur de piano de son premier roman, ou encore la maison isolée en norvège du second ou la station spatiale du troisième. Et c’est aussi un livre qui nous parle, encore une fois, de la puissance du destin – auquel la puissance de nos choix peut seule s’opposer. Le troisième lien que je trouve est la force de l’écriture : j’avoue qu’elle m’a un peu déboussolé au départ : le charme que j’avais pu trouver précédemment dans le style d’Hugo Boris me semblait absent de celui-ci au départ. Mais n’est-ce pas logique ? Le sujet abordé n’est pas de ceux que l’on présente à ses lecteurs pour leur plaisir, mais par nécessité. Il a besoin d’une plume sèche, directe, presque brutale. En cela, Hugo Boris a su lui rendre honneur, j’ai fini par le comprendre. En plus, pour être honnête, je dois quand même avouer que j’ai été happé par quelques très belles phrases, un peu brutes dans la forme, mais si puissantes dans le sens. Et, puis il y a eu la scène centrale, bouleversante, fascinante et si parfaitement maîtrisée ; une scène au cours de laquelle on réalise le sens si différent que chaque homme peut donner aux gestes, aux mots, en fonction de l’histoire qu’il a lui-même vécu. On réalise en lisant cette scène à quel point l'interprétation des intentions des autres peut engager notre vie et la sauver ou la conduire à sa perte. Evidemment, je ne peux pas en dire plus : j’en dévoilerai beaucoup trop de cet instant-clé du roman.

Alors, malgré la surprise que j’ai ressentie au début de ma lecture, je me suis quand même laissé embarquer par la plume d’Hugo Boris. Et puis, n’est-ce pas justement sa marque de fabrique que de se poser des défis en renouvelant et ses sujets et son style à chaque roman ? Et de surprendre ses lecteurs ? Il me semble que j’ai écrit cela à la première ligne de ce billet. Je ne pouvais donc pas lui en vouloir pour l’avoir fait une fois encore. Et son changement d’écriture n’est d’ailleurs pas la seule différence que l’on puisse trouver entre Police et les romans qui l’ont précédé.

En effet, cette histoire de reconduite à la frontière n’a vraiment rien à voir avec le duo touchant, tendre, du Baiser dans la nuque : la tendresse pointe un peu le regard, au détour d'une ligne, ou tout au plus d'un paragraphe arraché à la dureté du sujet central du roman : mais les exigences de la vie, les lois, les uniformes, les menottes et les ordres ont tôt fait de la remettre à sa place, cette tendresse qui nait d'un regard d'une mère sur son fils ou d'une main d'un homme dans les cheveux d'une femme. 
Aucun rapport non plus, dans ce cinquième ouvrage, avec le grand nord sauvage et inquiétant de La Délégation norvégienne ou la station spatiale de Je n'ai pas dansé depuis longtemps : pas de décor grandiose pour servir une aventure dépaysante : nous sommes sur Terre, dans notre pays, dans du concret, du quotidien ; et l'aventure est celle de la vie, rien de plus - mais c'est déjà beaucoup ; en tout cas, c'est assez pour y caser des tombereaux d'espoirs, de douleurs, de questionnements, d'inquiétudes, de doutes et, pour recadrer le tout et interdire tout débordement, de certitudes qui prennent la forme d'ordres de mission, de règlements, de textes de lois. 
Enfin, il serait difficile de comparer les grands hommes du roman Trois grands fauves à ces trois flics contraints de conduire à Roissy un réfugié tadjik qui doit prendre un avion qui le ramènera vers son pays... et vers une mort certaine. Virginie, Aristide et Erik ne sont pas Danton, Hugo et Churchill ; et pourtant, ils ont entre leurs mains la vie d'un homme. Une telle responsabilité justifie que l'on s'intéresse tout autant à eux qu'à ceux qui portent ou ont porté des noms célèbres. Même si cela ne dure que l'espace de ce roman.
Et c'est bien cela que l'auteur souhaite nous inviter à faire : nous intéresser aux protagonistes de son histoire. Et pour les rapprocher de nous, nous faire entrer dans leurs réalité, il leur donne une consistance des plus solides : chacun prend vie entre les pages, Aristide le frimeur, Erik le chef toujours réglo et Virginie, la femme qui doute - de son couple, de son amour pour son amant et d'elle-même, surtout. Et chacune de ces vies a droit, comme je le disais plus tôt, à son lot d'espoirs, de désespoirs aussi, de questionnements sur la mission à accomplir, questionnements qui se heurtent immanquablement à des murs de certitudes. Chaque homme, chaque femme, peut avoir ses convictions ; mais s'il est flic, il a aussi un uniforme. En suivant le combat entre ces doutes et ces certitudes dans l'esprit des personnages d'Hugo Boris, une question vient alors à chaque lecteur : qu'aurions-nous fait nous, d'Asomidin Tohirov ?
Car ce n'est pas un réfugié tadjik que les trois flics embarqués dans cette voiture de police doivent raccompagner à l'avion : c'est un homme. Un homme qui porte un nom, et qui donne le droit à tous les réfugiés, morts, rejetés, reconduits à la frontière, de porter eux aussi un nom. Et d’exiger d’être reconnus, eux aussi, comme des hommes. Dans ce nom - Asomidin Tohirov - tous ces réfugiés prennent vie. Dans son regard muet, dans son corps fragile mais digne, droit et silencieux sur la banquette arrière, dans tous les détails de son destin inhumain, tous ces hommes et toutes ces femmes qui partent pour ne pas mourir, trouvent enfin, au milieu de toutes les voix qui s'élèvent pour les fustiger, les rejeter, les mépriser, une voix différente qui les honore : la voix si talentueuse d’Hugo Boris. 


 * * * * * * * * * * * * *
Pour information, j'ai eu la chance de recevoir ce roman dans le cadre de l'opération de PriceMinister "Les Matchs de la Rentrée Littéraire#MRL16.
Mais ce n'est pas un hasard : je me suis inscrit pour tenter de remporter ce livre en voyant que l'une des marraines de cette opération était Antigone : elle avait en effet été selectionnée pour proposer trois romans de la rentrée littéraire 2016 qu'elle avait particulièrement apprécié. Parmi ceux-ci se trouvait justement Police. Et je crois savoir que, depuis sa lecture de ce roman, elle est devenue l'une des afficionados d'Hugo Boris, comme je le suis moi-même. La preuve ici
Merci à Antigone pour son enthousiasme à propos de cet auteur et pour m'avoir permis de recevoir ce livre que je lorgnais depuis l'annonce de sa parution.

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Commentaires
S
Oups ! Voilà près d'un mois que tu as écrit ce commentaire, Antigone, et je n'y réponds que maintenant. Il faut dire que les dernières semaines ont été plutôt bien occupées (et même très bien !). Pourtant, tu sais à quel point j'apprécie cet auteur et je ne pouvais manquer une occasion supplémentaire de le dire et de te dire comme je suis heureux moi aussi de t'avoir suggérer de t'intéresser à lui. J'aime beaucoup cette idée d'influence réciproque entre lecteurs : c'est comme ça que vivent les livres !
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A
Comme je suis heureuse d'avoir permis ça, cette lecture... Je comprends pour le style. Comme j'ai découvert l'auteur avec ce titre je n'ai pas vécu la surprise dans le même sens... Elle m'a beaucoup plu, cette écriture abrupte comme tu dis, parce que je la trouvais tellement appropriée et efficace, servant la tension qui règne du début à la fin... Que je suis heureuse de connaître maintenant Hugo Boris !! Il me reste deux titres à lire encore... ;)
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