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Sébastien Fritsch, Ecrivain
5 mai 2008

Kressmann Taylor - Jour sans retour

En 1942, quatre ans après l'impressionnant "Inconnu à cette adresse", Kressman Taylor écrit "Jour sans retour".
Basé sur les souvenirs d'un pasteur allemand ayant fui son pays pour échapper aux persécutions, ce livre poursuit le but de faire connaître à l'Amérique les méthodes du pouvoir hitlérien. Il s'agit quand même d'un roman, puisque l'auteur s'est autorisé de nombreuses adaptations par rapport à la vie de son témoin, dans le but de créer une intrigue et d'insérer des coups de théâtre. Quelques uns peuvent donner une impression d'artifice de scénariste, mais, dans l'ensemble, le roman est bien écrit, prenant et, surtout, il éclaire utilement l'époque de la montée du nazisme dans les années 30 en Allemagne.

On découvre en effet de façon précise la façon dont les nazis ont noyauté puis pris en main l'église protestante d'Allemagne. De la mise en place de "pasteurs" nazis jusqu'à la persécution et l'internement des pasteurs protestants refusant de se plier aux exigences de cette nouvelle religion, en passant par diverses mesures antisémites (interdiction d'assister aux offices pour les paroissiens ayant des grands-parents juifs, suppression de certaines parties de la liturgie et notamment les textes de l'Ancien Testament, puisqu'ils ont été écrits par des juifs et étaient donc jugés "impurs" par les nazis) et le remplacement de certains symboles et certains principes de la religion chrétienne par d'autres, créés de toutes pièces, et à la gloire du nouveau pouvoir. Le principal est, évidemment, la désignation d'un nouveau sauveur, destiné à supplanter Jésus-Christ : Adolf Hitler lui-même. On imposa même le remplacement des croix par des portraits du Fürher dans les églises.
En fin de compte, plutôt que de prendre de front l'Eglise (et ses millions de fidèles) le pouvoir nazi avait fait le choix de s'appuyer sur l'organisation existante, méthode efficace pour être certain de toucher tout le monde et surtout pour être certain de faire passer son message de haine : les fidèles écoutent leur pasteur et suivent ce qu'il dit ; si on le remplace par un pasteur nazi qui débite des messages antisémites et imposent de nouvelles icônes, les fidèles suivront. Ce ne fut pas si facile, puisqu'une réelle résistance s'activa dans l'ombre, mais, finalement, les pasteurs qui tentèrent de s'opposer aux plans du pouvoir, ne parvinrent pas à faire changer le cours de l'Histoire.
Tous ces évènements se sont déroulés de façon progressive, et l'auteur rend bien compte de la perversité avec laquelle les nazis passent d'une étape à l'autre. Cela commence par ce qui peut sembler n'être qu'une manoeuvre politicienne (demander aux diverses églises d'Allemagne de s'unifier puis placer un homme à la solde d'Hitler à la tête de cette nouvelle organisation), mais rapidement, la force prend le pas sur les manigances et on assiste aux premières déportations et assassinats d'opposants.
En lisant ce livre, on arrive à saisir un peu comment un pouvoir autoritaire parvient à prendre place en s'insinuant sournoisement au coeur des structures qui détiennent un pouvoir (ici, l'Eglise, mais ce fut pareil pour l'université (dont il est aussi question dans ce livre) et l'armée). C'est d'abord la ruse et les manoeuvres qui sont utilisées, puis une fois que cela a permis d'assurer quelques positions, la force intervient.
Laquelle force s'ancre plus solidement si elle trouve un support favorable. Et le support, Kressmann Taylor nous aide à l'appréhender en rendant compte de l'état d'esprit des Allemands de l'époque : on croise quelques hommes mûrs, qui expriment leur déception de la République et leur nostalgie de l'ordre qui existait du temps de l'Empire ; des jeunes frustrés, qui savent n'avoir aucun avenir dans un pays humilié, appauvri ; sans oublier l'Eglise elle-même dont le discours était, au départ : "Nous ne sommes pas là pour nous occuper de politique ! Tant que les nazis nous laisse prêcher dans nos églises, nous n'avons pas à donner notre avis sur la façon dont ils gèrent le pays." Fatal aveuglement.

Kressmann_Taylor_Jour_Sans_Retour

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Commentaires
S
@ Arpenteur, je vois que nous avons lu ce livre pour les mêmes raisons. Je reconnais que "Inconnu à cette adresse" est largement supérieur, même si j'ai bien aimé celui-ci.
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A
J'avais tellement aimé "inconnu à cette adresse", que j'ai été un peu déçu par celui-ci.<br /> mais j'ai quand même aimé, très intéressé par cette période, et le "comment des gens ordinaires...le sont devenus un peu moins, voire pires..."
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