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Sébastien Fritsch, Ecrivain
5 mars 2008

Laurent Mauvignier - Loin d'Eux

Pour résumer, mon avis est : mouais, bof.
Pour entrer un peu dans le détail, je dirai que le style m'a très efficacement exaspéré tout au long des 121 pages (et j'ai tenu à aller au bout, espérant qu'il y aurait un truc ou une chose pour relever le tout). Mais non : ça reste exaspérant d'un bout à l'autre.
Le style m'a semblé inventé, forcé, surfait, sans vie. Ce n'est même pas beau : il n'y a même pas un peu de poésie, un peu de musicalité, pour rattraper la platitude et les contorsions des ces phrases interminables (parfois plus d'une page) à la ponctuation anarchique (parfois aucune virgule sur plusieurs lignes, mais parfois des virgules là où il faut ; parfois des "deux points" pour introduire les propos des personnages, mais parfois pas et tout se suit, dialogue, narration, en vrac : OK, OK, je veux bien que ce soit original, innovant (et encore !), et tout et tout, mais si au moins c'était un tout petit peu joli... et avec un tout petit peu de sens à l'intérieur).
On peut croire que l'auteur à voulu recréer un style simple, populaire (mais pas vulgaire), pour montrer la douleur de gens simples, des ouvriers, un serveur, la veuve d'un boulanger, deux femmes au foyer (épouses des deux ouvriers). Mais en fait, son style ne correspond même pas au parler des gens simples; la langue est même vraiment irréelle, tellement elle est brinquebalante (pour être positif, on dira "inventive") avec des inversions injustifiées et des tournures tombées du ciel (Ex : "...de ne rien pouvoir soulager de tout ça qu'elle portait" - page 49, mais ce "tout ça que" revient ailleurs dans le roman... ce n'est donc pas une coquille). Le style de ce roman apparaît finalement plus simplet que simple. On dirait qu'on écoute parler... des gens qui ne savent pas parler.
Et puis, régulièrement, Laurent Mauvignier offre à ses personnages des trucs, enfin, non, pas des trucs, des paroles alambiquées, des métaphores d'esthètes mélancoliques vraiment déplacées. Tout ça sonne faux. Tous les personnages sonnent faux. D'autant plus qu'ils s'expriment tous exactement selon le même schéma : phrasé simplet et quelques trucs tordus, des images, des états d'âmes, de loin en loin. L'auteur alterne les points de vue de six personnages différents, qui se plaignent, se confessent, mais sans qu'on aille jamais en profondeur, sans qu'on sache d'où vient le malaise de l'un ou de l'autre, comment il se transforme en angoisse, puis en envie de suicide pour l'un des six. Et puis, en s'exprimant tous de la même façon, plate, sans ponctuation, sans intonation, sans couleur, ils se ressemblent tous, ces six narrateurs. Au point que Laurent Mauvignier se croit souvent obligé de commencer chaque nouvelle partie par ce truc-là : "Moi, Jean", "Moi, Gilbert", "Moi, Luc", etc. (je ne vous les fais pas tous, vous avez compris le truc).
Pour enfoncer le truc... non, le clou, le vocabulaire est d'une pauvreté consternante, certains mots sont répétés trois ou quatre fois sur deux ou trois lignes. D'autres sont utilisés quand l'auteur semble ne pas vouloir se creuser la tête : il en va ainsi pour les mot "choses" et "truc" (vous ne trouvez pas, vous, que c'est un tantinet énervant, de lire "truc" toutes les trois lignes ?) et surtout "ça" qui revient des centaines de fois.
Exemple de phrase alambiquée interminable (pas la première, inexpliquablement sobre, mais la deuxième) :
"Maintenant, je sais bien qu'il savait, Guy, ce que les gendarmes venaient m'annoncer. Je sais bien qu'il savait mais je ne saurai jamais si c'est parce qu'il n'osait pas qu'il n'a rien dit ou juste s'il trouvait dans l'ordre des choses que ce soit eux, les gendarmes qui me disent ça, nous avons reçu des nouvelles de Paris et c'est très dur, monsieur, ce qu'il faut vous dire, et moi, je me souviens tout de suite comment sous moi j'ai senti mon corps fondre sous moi comment mon corps de partout à vacillé et d'un coup j'étais hébété et je voyais les gendarmes et tout à coup dans mon corps j'ai entendu votre fils s'est donné la mort votre fils ils ont dit, et mon corps d'un seul coup, et tous ces bruits d'un seul coup dans ma tête qui sont entrés, et ça d'un seul mouvement à encaisser, mon corps loin des choses, mon corps loin de moi, moi qui aurais voulu me heurter à quelqu'un, que mon épaule à une épaule ressente encore sa vie, et tout Luc d'un coup était en moi, et en moi maintenant comme un poids il y avait la mort. Et puis je ne me souviens plus très bien d'après." (P. 101)

Bon, là, Jean vient d'apprendre que son fils, Luc, s'est suicidé. On peut comprendre qu'il est bouleversé et se mélange les pédales. Mais tout le roman est comme ça, je vous le jure. A croire que tout le roman s'emmêle les pédales.

Alors, en fin de compte, un roman qui n'a pas d'histoire, et des personnages artificiels, et des sentiments survolés, et un vocabulaire pauvre, et un style inexistant, ça me donne une puissante impression d'un grand creux avec du vide autour.

Mauvignier_loin_d_eux

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Commentaires
S
@ Anange, comme toi, je suis capable de suivre un auteur n'importe où, dans le loufoque ou même dans un roman sans histoire, à partir du moment où le style me convainc.
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S
@ Claudio, nous nous rejoignons sur notre façon de butiner d'un livre à l'autre. Et apparemment aussi sur le peu d'attirance pour ce style d'écriture.
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A
Oh merci beaucoup Seb !! (pour ce que tu dis plus haut)
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A
Je ne connais pas l'auteur ni ses livres, mais l'extrait que tu nous donnes à lire me rappelle un peu le style de Bukowski, une écriture que je trouve assez désarticulée et très charnelle. Personnellement j'accorde énormément d'importance au style de l'auteur (peut-être même plus qu'à l'histoire) : si son écriture me plaît, l'écrivain peut m'embarquer dans n'importe quel scénario. Ensuite, je sais aussi que je fonctionne beaucoup par période : période Jane Austen, période Edith Wharton, période Zola, période Paulo Coelho, période Welty... je sais que je ne peux pas lire certains auteurs parce que ce n'est pas le moment.
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C
oubli de ce mot «pages» à la fin du premier paragraphe du commentaire ci-haut.
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