Patricia Parry - Petits Arrangements avec l'Infâme
Impossible de savoir comment écrire cet article à propos de "Petits Arrangements avec l'Infâme". Je pourrais commencer par vous décrire la façon jubilatoire avec laquelle j'ai dévoré (ou me suis fait dévoré par) cette intrigue. Je pourrais plutôt vous expliquer le plaisir que j'ai eu à suivre Patricia Parry lorsqu'elle joue avec les mots, en véritable amoureuse de la langue française, qu'il s'agisse de la langue du XVIIIème siècle ou du langage des cités actuelles, en passant par divers registres adaptés à ses multiples personnages et aux situations dans lesquelles elle les plonge.
Je pourrais aussi vous parler de la tension que j'ai connue en parcourant les cent cinquante dernières pages, d'une traite, un vendredi soir alors que je m'étais promis que je ne lirais que vingt pages avant de dormir parce que demain on part tôt et qu'il y a de la route... Mais c'est impossible, on lit, on lit, on tourne la page, on atteint la fin d'un chapitre et on veut connaître la suite, alors on continue et on croit comprendre et on ne comprend rien alors on continue encore et comme ça jusqu'à la fin... Une fin où Patricia Parry nous explique tout... pour mieux nous déconcerter. Et finalement nous instiller une dernière dose de mystère avant le point final...
Je pourrais aussi vous parler de la façon dont ce mystère, justement, est conçu et agencé. Car, en plus de l'écriture et du rythme, l'un des points forts de ce roman est assurément la construction de l'intrigue et la façon dont elle se dévoile. En y réflechissant, après avoir refermé le roman, je me suis dis que l'intrigue était belle "dans les deux sens", si je peux me permettre cette expression : elle est belle quand on la découvre, au fur et à mesure que l'auteur nous donne ses clés, mais elle est belle aussi une fois qu'on a tous les éléments en mains et que l'on peut considèrer, dans son ensemble, l'architecture imaginée par l'écrivain. Evidemment, il vaudrait mieux que tous les romans à suspens présentent cette qualité, mais ce n'est pas toujours le cas.
A propos de ces différents "éléments" de l'intrigue, je pourrais aussi ajouter que, plus d'une fois, je me suis surpris à sourire de bonheur face à certaines révélations (que je ne peux pas "révéler" ici). Et je me suis même laissé aller, à la dernière ligne de la page 129, à m'exclamer : "Mmmmh ! J'adore !" Patricia Parry commençait à lever le voile sur le piège qu'elle me préparait, et je jubilais de me voir piéger.
Enfin, j'aurais aussi pu souligner la finesse avec laquelle est évoqué le sujet de l'intolérance religieuse (et aussi de toute forme d'a priori basés sur n'importe quel critère aussi peu défendable). Les personnages de ce roman, représentatifs de diverses communautés, de diverses catégories sociales, sont tous nettement définis, mais sans être des caricatures. Ce sont des êtres vivants, émotifs, sensibles, dont les motivations, les sentiments, les faiblesses, les qualités, les comportements, les idées sont complexes. Mais Patricia Parry saisit et rend avec beaucoup de talent cette complexité (sans doute est-ce un apport non négligeable de son autre métier). Et elle nous démontre surtout qu'il n'y a pas des bons d'un côté, des méchants de l'autre, mais qu'il y a des bons et des méchants, des brutes et des tendres, des forts et des faibles, et aussi des fous, des malades, des fragiles de tous les côtés et à toutes les époques. Cette vision du monde va à l'encontre de l'habitude facile et rassurante qui nous pousse à étiqueter les gens que l'on croise. Alors en plus du style, du rythme et de son "architecture", ce roman porte en lui une étincelle qui pousse à la réflexion. Ce n'est pas sa moindre qualité.
Voilà donc tout ce que j'aurais pu vous dire, mais je ne le ferai pas. Non, je vous dirai plutôt qu'en lisant "Petits Arrangements avec l'Infâme", je pensais à mes trois auteurs préférés de romans "à suspens" : Agatha Christie, Ken Follet et Fred Vargas. Et maintenant que j'ai refermé ce livre, il me semble pouvoir allonger la liste d'un quatrième nom.