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Sébastien Fritsch, Ecrivain
22 février 2019

Agota Kristof - Le Grand Cahier

Un roman étrange et cruel ; et violent, pervers, obscène, cynique, immoral... mais d'une manière si extrême et avec une plume si précise, si tranchante, si sèche et tellement maîtrisée, que cela en devient presque surréaliste et, je dois l'avouer, assez amusant.
Le décor est une ville sans nom, dans un pays sans nom, pendant une guerre sans nom, avec des occupants et des occupés qui parlent diverses langues qui ne sont pas désignées clairement non plus, et qui n'ont eux aussi que des appellations utilitaires ou descriptives (le libraire, le cordonnier, la servante, la grand-mère, la cousine...) ou moqueuse ("Bec-de-Lièvre", notamment). Bien sûr, on devine, entre les descriptions de convois de déportés qui traversent la ville et en se basant sur l'origine hongroise de l'auteur et sa naissance dans les années 1930, qu'il doit s'agir de la seconde guerre mondiale. Mais rien ne vient jamais le confirmer. Agota Kristof - Le Grand Cahier
Pour autant l'étrangeté ne vient pas seulement de cet univers privé de repères et la violence n'est pas uniquement provoqué par ce conflit armé, avec ses occupants, ses bombardements, ses convois militaires. La source principale d'étrangeté est constituée par les deux personnages centraux : deux garçons, deux enfants (mais sans âge précis), deux jumeaux indissociables. Et tellement indissociables que la narration est faite à la première personne du pluriel. Etonnant et pourtant bien réel. Mais comment un narrateur peut-il dire "nous pensons que..." ? Est-il possible que deux être distincts aient-une pensée commune ? Sont-ils alors vraiment distincts ? Apparemment oui, puisque les autres personnages les considèrent toujours comme étant deux... Grand mystère (et pas des moindres) de ce roman. 
Autres caractéristiques remarquables de ces garçons, ce sont leur intelligence et leur froideur, que l'on retrouve toutes deux dans leur manière de s'instruire : instruction de l'esprit, dans les domaines les plus variés et notamment l'apprentissage accéléré des langues des différentes armées qui passent par là, pour occuper ou libérer le pays, mais aussi dressage du corps, pour se former à endurer douleurs, mépris, faim...
Si froids et intelligents, les jumeaux apparaissent alors non seulement étranges, mais aussi totalement hors normes et presque terrifiants. A tel point qu'ils parviennent peu à peu à dominer et diriger qui ils veulent, sans que rien ne les fassent plier. Et il mènent ainsi leur barque, au milieu d'autres personnages qui ne sont pas en reste question brutalité, perversité ou égoïsme. Une barque qui avance allègrement, nous emportant avec elle jusqu'au point final... en nous donnant l'envie de continuer à la suivre dans les deux romans qui forment la suite de celui-ci. 

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