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Sébastien Fritsch, Ecrivain
7 février 2016

Arthur Schnitzler - Gloire tardive

Schnitzler - Gloire tardive

Quand Babelio m'a proposé ce livre, je n'ai pas hésité une seconde : même sans avoir jamais lu Schnitzler, j'ai réagi aussitôt (et très positivement) à ce nom. Voilà donc une grande plume que je ne connais pas et l'on m'invite à réparer cette lacune ? Allons-y ! Le lieu, l'époque et le thème ont encore augmenté mon attrait. Vienne, fin du XIXème, ce n'est pas qu'un point sur un carte et quelques chiffres sur un calendrier : c'est un état d'esprit, un mode de vie, un creuset de réflexion et une certaine idée, désuète désormais, du raffinement ; ce qui peut pourtant cacher quelques sombres pensées ; car quels que soit l'endroit et l'époque, le cœur humain fonctionne toujours selon les mêmes règles.
Et le thème ? me direz-vous. Pour simplifier, je pourrais écrire que ce court roman parle de la littérature ; mais pas la façon dont on la fait ; plutôt la façon dont on la vit. Que l'on ait envie d'écrire, que l'on ait écrit il y a très longtemps ; que l'on s'acharne à tenter de mener à bien son tout premier ouvrage ou que l'on n'ait jamais été capable, depuis des décennies, de donner une suite à une première publication ; que l'on abandonne tout pour ne se consacrer qu'à ses muses ou que l'on enterre sa plume pour s'imposer de gagner sa vie raisonnablement, grâce à un "vrai" métier ; que l'on n'arrive pas à trouver son public ou qu'on l'ait perdu de vue depuis longtemps ; que l'on se gargarise d'un talent qui n'a pourtant encore jamais réussi à donner naissance à quoi que ce soit qui puisse en prouver la réalité ou que l'on se recroqueville sous une humilité excessive, paralysante... on est à dans chaque cas écrivain, non ?
En tout cas, c'est la question que pose Schnitzler. Qui nous fait écrivain ? Qui nous donne le droit de nous attribuer la citoyenneté de ce grand et beau pays qui s'appelle littérature ? Nous-mêmes, lorsque l'on s'assoit devant notre feuille blanche ? L'éditeur qui accepte de se pencher sur notre production ? Les premiers lecteurs qui s'émeuvent en nous lisant ? La foule qui vient ensuite, s'arrache nos romans, les fait grimper dans les palmarès, les installe sur des étagères de plus en plus nombreuses, dans les librairies, les bibliothèques, les supermarchés, les émissions télévisées ? Les générations à naître qui nous citeront dans les manuels, les dictionnaires et nous attribueront des lauriers que nous n'aurons jamais la chance de pouvoir admirer de nos propres yeux ?
Et finalement, à quoi ça sert, d'être écrivain ? A nous faire plaisir en grattouillant du papier (et notre nombril) ? A nous occuper parce qu'il pleut dehors et que la télé est en panne ? A gagner notre pain ? A nous offrir le plaisir d'un partage avec d'autres esprits, ceux des lecteurs, ceux de "confrères" ? A faire chavirer nos admiratrices (ou -teurs) ? A nous gonfler d'importance pour en remontrer aux autres, aux moins-que-rien qui seraient bien incapables de produire d'aussi belles lignes que les nôtres et qui nous méprisent tout autant qu'on les exècre (imbéciles qu'ils sont !) parce qu'il ne ne sont même pas en mesure de comprendre la valeur de notre inégalable prose ? Schnitzler nous les donne tous à voir, ces personnages : l'humble croise le fat, le passionné et le blasé mangent sur la même nappe, le velléitaire et le besogneux trinquent au travail que l'un commencera bientôt et que l'autre s'échinera à tenter d'achever dans la douleur.
La précision et le réalisme avec lesquels Schnitzler nous expose ces différents profils sont admirables. Il sait rendre avec une profondeur et une justesse impressionnantes les caractères si disparates des multiples protagonistes mais surtout les questionnements et les revirements de Saxberger, son personnage principal, celui dont on suit l'évolution, entre sa petite vie tranquille de vieux fonctionnaire et la "gloire tardive" que quelques jeunes admirateurs, comme tombés du ciel, vous lui faire entrevoir.
C'est une autre des grandes qualités de ce roman, ce style tout en finesse. Et ainsi l'univers, l'ambiance où évoluent ces personnages sont tout aussi bien rendus, par petites touches, par de brèves descriptions, des dialogues ou mêmes des sous-entendus, non dénués d'un certain humour.
En conclusion, l'idée préconçue que j'avais au sujet de Schnitzler se trouve confirmée : c'est effectivement une grande plume et je suis heureux, en tant que lecteur, d'avoir pu enfin la découvrir. Mais je dois aussi reconnaître que toutes les questions soulevées par Gloire Tardive m'ont également profondément touché en tant qu'écrivain. Je ne suis pas certain que tous les points d'interrogation qui émaillent mon billet trouveront une réponse, mais j'ai tout de même compris grâce à cette courte histoire que même si l'on ne décrète pas son talent, que l'on ne décide pas de son succès, on peut au moins choisir de s'éviter des regrets. Et pour cela, faire ce qui nous semble bon. Et si c'est écrire, alors écrivons.

tous les livres sur Babelio.com
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Commentaires
Z
Jolie chronique qui donne envie de découvrir le livre, je le note.
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G
Je souscris complètement à ta conclusion! :-)
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R
J'ai lu ton commentaire, mais je ne connais pas le livre de Schnitzler. Je trouve que tes romans, cher Sébastien Fritsch, sont très bien écrits, donc je les mettrais dans le monde de la littérature, dont le but n'est pas d'etre 'utile' mais 'inutile', 'belle' et 'en plus'. Et puis, il y a un écrivain italien du XIX siècle qui disait: ' Pardonnez moi, mes lecteurs, parce que, meme quand on écrit mal, il s'agit de fatiguer!' On essaye d'écrir, quand on écrit.
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