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Sébastien Fritsch, Ecrivain
4 décembre 2015

Le Désert des Tartares - Dino Buzzati

Le désert des Tartares

Voici un grand roman dans lequel il ne se passe rien. Grand par la langue, grand par les idées, grand par les décors, grands par l'exploration psychologique de ses personnages, mais entièrement vide en terme de péripéties. Et c'est en cela aussi qu'il est grand : il montre avec cruauté ce que peut être une vie vide de sens, vide d'action, entièrement tournée vers demain et les hypothétiques espoirs que l'on place dans ce jour qui reste à venir. Et qui, après chaque nuit passée, reste encore à venir. Car demain n'existe pas ; il est, par définition, toujours fuyant. Jusqu'à notre mort.

En réalité, il se passe quand même quelques événements dans ce Désert des Tartares, parmi lesquels certains font croire, un instant, que la longue attente, le puissant espoir du "grand soir" n'étaient pas vains. D'autres épisodes de moindre importance ponctuent également le déroulé du roman ; comme pour souligner plus fortement encore tout le vide des jours qui s'écoulent entre chacun de ces moments un peu différents de la routine habituelle. Mais c'est bien ce vide qui envahit les pages, qui écrase les hommes, comme les montagnes étouffent leur horizon et comme la longue plaine désertique placée sous leur surveillance parvient à emprisonner toutes leurs aspirations, tous leurs désirs, toute leur volonté, toute leur énergie. Et les maintient le dos tourné à la vie qui, là-bas, si loin, continue de palpiter dans la ville où sont restés leurs amis, leurs familles.

Bien sûr, le décor est une forteresse, plantée à la frontière dans le but de contenir l'invasion d'un ennemi potentiel ; et les protagonistes sont des soldats (et au milieu d'eux, Giovanni Drogo, jeune lieutenant à l'ouverture du roman ; vieux commandant dans les dernières pages) ; et nous, lecteurs, ne sommes pas militaires en service, et encore moins affectés dans un lieu aussi lointain, aussi isolé et au règlement aussi strict (et parfois aberrant). Et pourtant, sommes nous capables de vivre aujourd'hui ? De ne pas nous tenir dans un immobilisme stérile, attentiste, sans profiter de l'instant présent, persuadés que nous sommes que la clé de notre bonheur se trouve dans l'instant d'après... ou peut-être encore celui qui suit un tout petit peu plus loin... ou peut-être un peu plus loin encore... ou peut-être... Et de peut-être en peut-être, d'instant en instant, le temps qui nous était donné finit par s'épuiser. Et nous avec.

Quand on a l'avenir devant soi, il est exaltant de se nourrir d'espoir. Mais faut-il pour autant se condamner à n'avoir plus, à la fin du voyage, que des regrets ? 

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Commentaires
S
Pour moi, c'était le premier contact avec la plume de Buzzati et j'ai vraiment beaucoup aimé. Mais je note l'autre titre que tu conseilles pour une lecture future.<br /> <br /> J'aime aussi beaucoup "l'Etranger" (et je le cite même dans mon dernier roman comme une référence). Par contre, je n'ai jamais lu Houellebecq... Ou, plus précisément, j'en ai lu dix pages et j'ai décroché. Peut-être qu'un jour...
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R
J'ai lu Le Désert 'pour devoir', mais je trouve qu'il est un peu surévalué. Je prefère 'Un amour' du meme auteur et, au sujet de l'attente et du néant, L'étranger de Camus, qui reste mon livre du coeur, et Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq.
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