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Sébastien Fritsch, Ecrivain
9 novembre 2015

Réparer les vivants - Maylis de Kerangal

Que demande-t-on à un roman ? De nous émouvoir ? De nous bousculer ? De nous séduire par la beauté de ses phrases ? De nous poser des questions ?

Emouvant, oui, ce roman l'est ; et même bien souvent éprouvant - oui, il bouscule, il remue, il secoue. Sans doute est-ce parce que j'ai des fils du même âge que le jeune surfeur qui meurt sur la route ; mais plus sûrement aussi parce que Maylis de Kerangal a le talent de nous faire entrer dans son roman, par les mots, les gestes, les douleurs, les questions de ses protagonistes et par sa manière de leur donner vie : en quelques paragraphes ou quelques pages elle les élève devant nous, les met en forme, en couleur, les rend réels, les faire devenir nos semblables ; presque nous-mêmes.

Et puis il y a son style, ces phrases interminables qui courrent sur une, voire deux pleines pages, comme la vague qui entraîne le surfeur, comme la camionnette qui quitte la route, comme le destin qui emporte les personnages, qui vers la mort, qui vers la vie, qui vers la douleur, qui vers l'action. Des phrases longues mais qui se vivent sans impression de longueur, sans sensation d'inutile : car ce rythme est celui de la vie (la vie qui part du corps de ce jeune accidenté, la vie de ceux qui tournent autour - parents, soignants) mais aussi parce que les scènes ainsi décrites n'ont rien de trop : les mots sont exacts, ciblés, précis et imagés ; ils savent dire chaque instant, chaque douleur, chaque question, chaque décision, chaque acte médical. Il n'y a pas de phrases toutes faites, pas de facilités, pas de baisse de régime : tous les mots sont à la hauteur, toutes les situations sont pleinement offertes aux lecteurs, dans les moindres détails, avec naturel et justesse. 

Et puis, il y a ces questions : sur la valeur du corps, la signification de cette enveloppe ; sur la façon dont on réagirait face à une mort aussi brutale d'un fils aussi bouillant de vie ; sur la manière de vivre et de considérer sa vie quand on porte un organe défaillant et que l'on reste dans l'attente d'une greffe ; sur la façon d'accueillir cette greffe ; et sur la notion-même de don d'organe : faut-il donner ? préserver le corps ? vers quelles réponses nous mènent nos convictions, nos croyances ? Pour moi, il n'y a pas de doute : je donnerai tout ce qui pourra encore servir. Mais, même si je ne comprends pas les fondements de certaines convictions, je peux comprendre la difficulté que certains peuvent avoir au moment (souvent brutal) de décider.

Quoi qu'il en soit,je pense avoir répondu à mes toutes premières questions : ce que l'on peut demander à un roman, c'est bien de nous émouvoir ou de nous bousculer ou de nous séduire par son style ou de nous pousser à nous interroger. Mais parfois, certains romans parviennent à faire tout cela. Ce sont alors de grands romans. Réparer les vivants est un grand roman.

Réparer les vivants

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