Jean Echenoz - Ravel
Lecture plaisante, mais déconcertante. Jean Echenoz, en nous invitant à suivre les dix dernières années de la vie de Ravel, semble nous faire la conversation. Son style nonchalant (très fluide, très agréable, mais qui paraît un peu détaché, un peu lontain, empreint d'un certain flegme) donne l'impression que l'on est assis à côté de lui, auprès du feu, un verre de cognac à la main, sous un éclairage tamisé, et qu'on l'écoute nous raconter une histoire. Ou, plutôt, évoquer pour nous quelques anecdotes, une par-ci, une par-là, très bien liées les unes aux autres, mais paraissant sortir de sa bouche - pardon : de sa plume - comme elles lui reviennent à l'esprit, entre deux gorgées de l'alcool ambré ou en se rasseyant après avoir remis une bûche dans l'âtre.
Bien sûr, cette fluidité (et cette nonchalance) sont la preuve d'une maîtrise de la narration romanesque : le manque de maîtrise conduit à des textes didactiques et figés, tandis que nous avons là, au contraire, une ambiance dans laquelle on se coule, un personnage auquel on s'attache, une histoire dans laquelle on s'engage sans effort, sans rechigner à suivre l'invitation que nous donne Echenoz (même si, personnellement, je préférerais une mirabelle de Lorraine plutôt qu'un cognac ; mais il me semble que je digresse).
Et puis, il faudrait que je lise un autre roman de Jean Echenoz pour savoir s'il a toujours ce style. Parce qu'il l'a peut-être simplement adapté à son personnage, Maurice Ravel, dont la vie (en dehors de la musique) était ennui, insomnies, solitude, désintérêt pour la compagnie de ses semblables et manque de volonté flagrant quand il s'agissait de se mettre au boulot. Quand on est dans un tel état d'esprit, la vie coule avec la même fluidité que la plume de Jean Echenoz et on la traverse avec un détachement identique à celui qui transparaît dans le style de l'auteur de cette biographie romancée.
Pour preuve de ce détachement, on peut noter les bricolages linguistiques ou les pointes d'humour (pas forcément drôles) dont Echenoz parsème son texte, comme s'il n'était vraiment là que pour s'amuser :
"Au bas de la volée de huit marches étroites, freins serrés dans la rue en pente, stationne donc la 201 au volant de quoi Hélène frissonne en pianotant sur lui du bout de ses doigts laissés à nu par des mitaines en tricot bouton d'or." (page 10)
Dans "au volant de quoi Hélène frissonne en pianotant sur lui", on aura compris que "lui", c'est le volant. Il fallait oser cette construction. Et cela conduit à trouver normal le "au volant de quoi", plutôt que "au volant de laquelle".
"Ravel à le format d'un Jockey, donc de William Faulkner qui, au même instant, partage sa vie entre deux villes - Oxford, Mississipi, et la Nouvelle-Orléans -, deux livres - Mosquitoes et Sartoris - et deux whiskeys - Jack Daniel's et Jack Daniel's."
Ce qui m'a étonné aussi, la première fois que je l'ai lu, à la page 9, c'est d'apprendre que le ciel pouvait contenir le soleil : "Le ciel couvert contient un soleil pâle."
Mais je fus encore plus surpris de lire ensuite :
"Le ciel voilé contient un soleil flou [...]" (page 22).
"Le ciel pur contient un soleil glacé." (page 50).
"[...], le ciel géant contient un soleil pur, [...]" (page 106).
L'expression n'est pas banale, mais la répéter comme ça, de loin en loin, cela semble tenir du jeu. Surtout si l'on remarque qu'à chaque fois, elle revient quand on double le nombre de pages ou à peu près. Mais bon, il n'y a peut-être que moi qui fasse attention à ce genre de bêtises. Ceux qui ont lu "Le Sixième Crime" comprendront peut-être pourquoi.
C'est comme cet autre détail : à la page 15, Jean Echenoz parle d'une voiture de marque "Panhard-Levasseur" au lieu de "Panhard-Levassor". C'est idiot, mais ça me choque. Comme si l'auteur ne s'était pas documenté. Ou alors c'est voulu, c'est encore une pointe d'humour, du genre : "eh ben, ça fait plaisir de voir qu'il y en a un qui suit !"
Aurai-je une explication un jour ?
En attendant, et au risque de me répéter, c'était une lecture certes déconcertante, mais indéniablement plaisante. J'ai bien envie de tenter un autre Echenoz, pour voir.