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Sébastien Fritsch, Ecrivain
14 août 2008

Boris Vian - L'Automne à Pékin

Les filles sont belles, les personnages loufoques, les situations farfelues, le langage inventif : c'est Vian, unique, inimitable.
Pourtant, j'ai moins accroché avec ce roman qu'avec "l'Ecume des Jours", qui est tout simplement fabuleux.
L'Automne à Pékin ne porte pas en lui, selon moi, la même poésie que l'Ecume des Jours. Dans ce dernier, j'ai très fréquemment été saisi par des phrases dont les sonorités, les couleurs, les images me retenaient, m'appelaient à les relire plusieurs fois avant de passer à la suite. Et puis, dans l'Ecume des Jours, il y a aussi les passages sur le Jazz, les métaphores des nénuphars ou des pièces qui rétrecissent, et puis le pianocktail, la petite souris, l'obsession de Chick pour Jean-Sol Partre... Ah, ça y est, me voilà en train de parler d'un roman à la place d'un autre !
Revenons donc à l'Automne. Ce que j'ai bien aimé, ce sont les situations : la construction du chemin de fer en plein désert, l'obligation de le faire passer au milieu du seul bâtiment qui y a été construit, et aussi tous les travers des différents personnages : le médecin qui est passionné de modélisme et se fout complètement de ses malades (du moment qu'il arrive à en guérir plus qu'il n'en tue, sa carrière n'est pas remise en cause), l'archéologue qui casse toutes les poteries qu'il met au jour, afin de pouvoir les faire entrer dans les boîtes standard, l'abbé qui se signe des indulgences à tire-larigot, l'ermite, perdu au milieu du désert (pas si désert, vu le monde qui y passe) et qui  se doit d'accomplir, comme tout ermite qui se respecte, et afin d'édifier ses visiteurs, un "acte saint" continu ; il fait donc l'amour à longueur de journée.
Parmi les autres personnages, il faut aussi signaler les membres du conseil d'administration de la société qui fait construire le chemin de fer. On assiste à quelques séances du conseil, histoire de voir comment des décisions arbitraires et injustes et souvent loufoques sont prises. Toutes cette injustice et cette loufoquerie se retrouvent sur le chantier de construction : le directeur est infect, le contremaître est un salaud (d'ailleurs on ne le voit jamais, mais tout le monde en parle et ne le désigne que de cette façon : "ce salaud d'Arland"), les ingénieurs passent leurs journées à faire des calculs et des plans et tentent en vain d'expliquer au directeur que l'on pourrait peut-être dévier la voie pour éviter de détruire le bâtiment dans lequel ils sont installés, les deux ouvriers construisent à eux seuls la voie de chemin de fer, en posant les rails sur des cales, parce qu'ils attendent la livraison du ballast qu'il leur faudra mettre en dessous et auquel on n'a pas pensé en préparant le chantier. Ceci étant, pour se venger de la "mauvaise volonté" des ingénieurs et des ouvriers, le directeur enverra un rapport très négatif au conseil d'administration qui décidera, en trois secondes, de réduire de 20 % le salaire de tout le monde... sauf ceux du directeur et de ce salaud d'Arland.

Avec le personnage de l'abbé et celui du médecin, tout aussi azimuthés l'un que l'autre, c'est cette vision de l'entreprise et de ces aberrations qui m'a plu le plus. Les relations entre les personnages m'ont semblé moins intéressantes. Peut-être est-ce mon côté "romantique" qui joue, mais je préfére justement l'Ecume des Jours pour les sentiments qui y sont dépeints, tandis que je trouve que, dans l'Automne à Pékin, les sentiments sont absents : toutes les relations entre les différents protagonistes sont évoquées sur le plan uniquement sexuel.
Entre les deux ingénieurs existe une jalousie, liée au fait que l'un couche avec la secrétaire du patron et pas l'autre. Ce dernier se dit amoureux parce qu'il veut la "baiser". Et les deux tourtereaux, quant à eux, ne voient pas autre chose que les moments qu'ils passent au lit ensemble. Et il est clair que, pour eux, dès qu'ils en auront assez de la bagatelle, ça sera fini entre eux. Concernant le directeur du chantier, il est haï par tous ses employés, non seulement parce qu'il est injuste, mais aussi (et peut-être surtout) parce qu'il est homosexuel. Car dans ce roman, tout le monde hait les homosexuels, comme ça, a priori, et on ne se gêne pas pour le dire. Comme on ne se gêne pas pour parler des autres (homme ou femme, selon son inclination personnelle) comme d'une marchandise sexuelle. De sentiment, là-dedans, je n'en vois pas. Mais, bon, c'est sans doute mon côté fleur-bleue. Ou peut-être Vian a-t-il voulu forcer le trait d'une réalité qui existe quand même et dans laquelle tout le monde se cache derrière des faux semblants, des sourires et des amabilités, mais n'en pense pas moins.
De toute façon, je ne me souvenais pas de cette facette du roman (que j'avais lu il y a quinze ou vingt ans). Ce n'est donc peut-être pas le plus important. Le plus important, c'est l'univers et les personnages incomparables que sait créer Vian, et sa façon de jouer avec le langage.

 

Vian_l_automne_a_pekin

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