Michèle Lesbre - La Petite Trotteuse
"L'esprit des murs ressemble parfois à un miroir imaginaire où vacille le reflet éteint du passé." (page 83)
La pluie, l'orage, la mer, la forêt, la ville, des villages, des hameaux perdus, et aussi une moto, deux chats, des livres et surtout une montre et sa petite trotteuse.
Les secrets des autres, les maisons des autres, les vies des autres, croisées quelques minutes ou quelques jours. Les leçons apprises de ces rencontres, de ces échanges de paroles ou même des silences. Le sens que l'on donne aux choses, aux situations, l'interprétation de la réalité et de tous les détails qui la composent. Interprétation parfois juste, parfois troublée par des a priori ou nos propres souvenirs. Et inversement, on cherche dans ces scènes de la vie quotidienne actuelle à revivre des scènes disparues à jamais, disparues parce qu'ont disparu ceux qui jouaient ces scènes à nos côtés. Des scènes de bonheur, décorant nos souvenirs d'enfant ; des scènes dures, tendues, parcourues de silences lourds et d'agressivité. Toutes resurgissent, à cause de la lumière d'un soir, du frôlement d'un chat, de la clarté d'une maison vide qui donne sur la plage.
C'est un très beau tableau de vie, ce roman de Michèle Lesbre. Un tableau d'autant plus beau qu'elle sait peindre en touches douces, une palette très large de sentiments, de sensations, d'émotions et elle sait dire, entre les lignes, tous ces non-dits qui alourdissent nos pas, retardent notre avancée sur le chemin de la vie, notre propre vie, enfin indépendante des fantômes de notre passé.
Et puis, elle écrit si bien. Elle écrit en prose, mais ses images, sa façon de faire ressortir le sens des objets, du vent, des couleurs, des lumières, c'est de la poésie, claire et touchante.
Enfin, il faut également souligner le travail de construction de ce roman. Pas à pas, on pénètre au plus profond des souvenirs de la narratrice. On avance avec elle, puis, avec elle, on revient vers son passé. On regrette, on désire, on rêve, on mélange le vrai, le faux, le ressenti, les souvenirs. Et on finit par en savoir un peu plus sur cette femme qui se cherche dans les décors des vies des autres.
La mémoire de chacun d'entre nous, agit toujours ainsi en fait : le passé ne revient jamais d'un bloc, organisé et monté comme un film propret et prêt à vendre. Le passé ne nous visite que par bribes, par touches impressionnistes, tendres ou blessantes, franches ou mensongères, passées au filtre des jours qui ont suivi. Ces jours qui n'appartiennent qu'à nous et dont nous devons nous rendre maîtres.