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Sébastien Fritsch, Ecrivain
19 octobre 2019

Jacques Poulin - Volkswagen blues

Jacques Poulin - Volkswagen blues

Un homme et une femme traversent le continent nord-américain, de la Gaspésie à San-Francisco, dans un minibus Volkswagen. Voilà un "pitch" qui pourrait sembler banal ; grâce au talent de Jacques Poulin, ce road trip se révèle d'une grande saveur ; et source de réflexions fondamentales.
Il y a tout d'abord la plume de l'auteur, toujours porteuse d'une grande douceur, de tendresse et, bien souvent d'humour. Il parvient à créer ainsi une belle complicité entre ses deux protagonistes : Jack, un écrivain quadragénaire qui a du mal à écrire (et qui ne parvient même pas à aimer les romans qu'il a déjà écrits) et Pitsémine, une jeune femme dans la vingtaine, moitié indienne, très libre et d'un esprit très vif, passionnée par les livres et experte en mécanique automobile. Bien sûr, on pourrait ajouter un troisième personnage : leur véhicule, le vieux "Volks" : il les transporte, les abrite et semble jouer le rôle de l'ami protecteur. Dans ce cas, on pourrait encore compter un quatrième personnage : le petit chat noir, vecteur involontaire de certains sentiments ou de certaines idées. Et un cinquième : Théo, le frère de Jack, parti sans laisser de nouvelles depuis vingt ans. Personnage invisible mais fondamental : c'est pour le retrouver que Jack prend la route ; et que Pitsémine, familièrement désignée comme "la Grande Sauterelle", décide de l'accompagner.
Pourtant, derrière cette douceur et cette tendresse, Jacques Poulin ne nous épargne pas la part de douleur et de cruauté qui peut marquer les peuples, de manière collective, et les individus, de façon très personnelle (sans oublier l'influence que le collectif peut avoir sur le personnel).
Car en nous emportant à la découverte de la géographie de l'Amérique, de ses plaines, de ses fleuves, de ses montagnes, de ses déserts, de ses villes, l'auteur nous entraîne aussi à la découverte de son histoire : les affrontements entre colonisateurs et autochtones, les massacres de tribus indiennes, le désarroi des survivants et des descendants de ces victimes. Plus d'un siècle après, Pitsémine est encore marquée par ce que ses ancêtres ont subi.
L'écriture, tout en restant toujours aussi élégante et limpide, rend parfaitement toute l'ignominie de ces conquérants impitoyables et sanguinaires.
Mais au chapitre des souffrances, il y a aussi celle des pionniers, partis de l'est pour voir si l'herbe de l'Oregon et de la Californie était aussi verte que ceux qu'on leur promettait. Des milliers d'entre eux ne la verront jamais, arrêter dans leur parcours et dans leur vie par l'hostilité aveugle des déserts, des montagnes ou des indiens.
Entre douceur et complicité d'un côté, cruauté et désolation de l'autre, Jacques Poulin parvient magnifiquement à nous transporter dans ces paysages grandioses et dans ces questionnements tout aussi puissants. En sa compagnie, nous nous interrogeons sur la confrontation des peuples, l'héritage que portent les descendants de chacun d'eux, mais aussi à propos du sens que nous donnons à nos vies (sous l'influence, là encore, de l'histoire collective) ainsi que sur la littérature, le rôle et le fonctionnement de l'écrivain et la place des livres (le thème littéraire est d'ailleurs fréquent chez l'auteur).
Enfin, au-dessus de toute les autres, plane page après page cette question, fil rouge, de tout le roman : où est Théo? Une question qui pourrait aussi se lire : où suis-je? Où ma vie m'a-t-elle mené? Car quel que soit le but que nous nous fixons (trouver Théo, réussir à écrire un livre, reprendre le "trail" suivi par les pionniers, reconstituer l'histoire douloureuse des tribus indiennes), n'a-t-on pas en réalité qu'un seul objectif : nous trouver nous-mêmes?

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