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Sébastien Fritsch, Ecrivain
25 août 2019

Rutherford... et Brooks

Cela fait maintenant plus de cinq ans que l'idée d'un roman autour de la figure d'Ernest Rutherford me trotte dans la tête. Enfin, quand je dis cinq ans... cela fait bien plus longtemps que je me suis pris d'affection pour ce grand chercheur, père de la physique nucléaire, figure à la fois pleine d'humanité et de maladresse et exemple de persévérance, de respect et d'ouverture d'esprit, dont la vie est déjà un véritable roman, de par ses nombreux changements de latitude et de longitude, ses rencontres fortes, ses prises de position courageuses, ses découvertes fondamentales, ainsi que les honneurs et les tragédies qu'il a connus. 
En réalité, ces cinq ans correspondent à la période pendant laquelle j'ai commencé à amasser de la documentation. Outre des biographies de Rutherford lui-même, ou un recueil de sa correspondance, j'ai aussi acquis quelques bouquins sur des personnages de son époque, avec qui il a eu des liens plus ou moins importants, tels que Marie Curie ou Albert Einstein.
Puis, je me suis mis à écrire, au début du mois de juin 2019. Work In Progress - Novel on ER - 14 06 2019Alors, j'ai dû me documenter encore plus, sur la topographie des lieux où il a travaillé et vécu, les modes de vies de la dernière décennie du XIXè siècle (pour l'instant), mais aussi les personnages qu'il a connus : leurs physiques, leurs idées, leurs attitudes. Joseph John Thomson, John Townsend, Paul Langevin... pour ne citer que les plus importants, sont donc entrés dans la danse. Puis d'autres, plus lointains, mais qui ont joué un rôle dans la carrière du jeune Ernest : Röntgen, Marconi, Becquerel et les Curie, bien sûr. 

Ernest Rutherford at 25Ayant choisi de débuter mon roman quand Ernest Rutherford commence à travailler à Cambridge, après avoir terminé ses études en Nouvelle-Zélande, j'ai tenté de ne laisser de côté aucun aspect que je jugeais important, complétant par des recherches poussées les biographies dont je disposais. C'est ainsi, par exemple, que j'ai passé deux jours à chercher le nom des femmes qui ont travaillé en même temps que lui au laboratoire Cavendish de Cambridge entre 1895 et 1898... pour finalement n'en trouver aucune (il y en a eu une poignée avant son arrivée et il y en aura d'autres ensuite... mais, ça, on en reparlera).
Au début de la semaine dernière, j'ai achevé la partie "Cambridge" de la vie de Rutherford (achevé, ça veut dire que rien n'est fini : il faut encore relire, alléger, compléter, corriger... mais, ça, c'est pour plus tard).
The Macdonald Physics Building entranceMe voici donc parti pour Montréal, où Ernest s'installe en septembre 1898, avec le titre de "Professeur" (après n'avoir été que chercheur assistant en Angleterre). Là, de nouveau, je me lance dans de grandes explorations du web : à quoi ressemblait l'université McGill de Montréal en 1898 ? Et les personnages qui la faisaient fonctionner ou prospérer, telles que Sir Willam Macdonald, richissime industriel qui finança l'achat des terrains sur les pentes du Mont-Royal, la construction des bâtiments, le matériel de recherche, les salaires des professeurs, j'en passe et des meilleures. 
Enfin, il m'a fallu aussi cerner le plus précisément possible les profils des membres de l'équipe du tout jeune Professeur Rutherford : des canadiens, des américains, des étudiants, des ingénieurs, tous âgés de moins de trente ans, et au milieu desquels une figure particulière se détachait : Harriet Brooks

Harriet Brooks

Pourquoi elle plutôt que les autres? Parce qu'elle était une femme dans un milieu essentiellement masculin ? Parce qu'elle avait du génie et a participé à plusieurs découvertes fondamentales de Rutherford ? Les deux points sont aussi importants. Car femme ou homme, peu importe, la force de son intuition et l'importance de ses résultats en font une figure scientifique de premier plan. 
Pour autant, on ne peut pas laisser de côté le fait qu'elle s'appelait Harriet et pas Harry : à cette époque, ça n'était pas si simple pour une femme de se faire une place, ni dans le monde scientifique, ni dans le monde en général.
Les choses ont-elles évolué ? Un peu sans doute, et on peut s'en réjouir. Mais l'évolution n'a pas atteint son but ultime : que le fait de s'appeler Harriet ou Harry ne soit plus pris en compte pour la progression d'une carrière, ni pour aucun autre droit. 
Avec Harriet Brooks, j'ai donc découvert un autre thème sous-jacent dans le roman que je suis en train d'écrire. Et j'adore me faire prendre par surprise par mes romans ! Au départ, je voulais utiliser la figure de Rutherford pour explorer deux thèmes principaux. Le premier était la capacité de certaines personnes à avancer, courageusement, avec persévérance, exactement comme il l'a fait : né fils d'agriculteur dans un bled perdu de Nouvelle-Zélande, il est parvenu à faire progresser la science de manière spectaculaire et a récolté pour cela les plus grands honneurs (prix Nobel, anoblissement, et multiples récompenses et titres honorifiques). Le deuxième sujet que je voyais comme fil conducteur de mon roman est l'aptitude de transmettre à des plus jeunes, en les valorisant, en les stimulant, en créant une ambiance favorisant l'envie d'apprendre, de comprendre, de chercher. Rutherford agissait exactement ainsi, lui qui savait encadrer ses équipes avec une vraie gentillesse et veillait toujours à reconnaître les mérites de chacun. Il ne fit pas exception dans le cas d'Harriet Brooks. Ni avec les autres femmes avec lesquelles il travailla. 
C'est donc ainsi que ce troisième thème s'est dessiné : utiliser Ernest Rutherford, qui a toujours défendu la place des femmes dans la science, comme exemple à suivre (et à généraliser à d'autres domaines que la science ! ).
En voyant se profiler ce troisième thème, je me suis dit que le personnage que j'avais choisi était décidément un beau personnage !

Rutherford bibliography - 23 08 19
Mais l'histoire ne s'arrête pas là (et je ne dis pas ça parce que ma partie "Montréal" est toujours en gestation) : au fil de mes recherches, je me suis aussi rendu compte qu'Harriet Brooks, malgré les efforts de Rutherford pour que son nom figure dans toutes les publications qu'ils ont rédigées ensemble, était passée à la trappe au fil des décennies. Elle est très peu connue actuellement et, pire que tout, elle est pratiquement absente des biographies de Rutherford (pour des raisons que je crois comprendre, au moins dans un cas... mais je n'en dirai pas plus).
Heureusement, au début des années 1990, deux scientifiques canadiens, réalisant cette injustice, ont tenu à la rétablir dans ses droits et ont publié une biographie... que je me suis empressé d'acheter la semaine dernière. Sans cela, je pense que la partie "Montréal" de mon roman aurait été largement incomplète, voire mensongère. 
Mais ce n'est pas tout. Continuant à fouiller à gauche et à droite, je suis tombé sur une vidéo présentant un projet de pièce de théâtre qui retracera la vie d'Harriet Brooks.
La conceptrice de ce projet ? Elle Denny, actrice et autrice canadienne. 
Son idée ? Sortir Harriet Brooks de l'ombre.
Son ambition ? Donner aux filles d'aujourd'hui l'envie d'oser faire ce qu'Harriet n'a pas pu faire il y a 110 ans : concilier une carrière scientifique et une vie de famille.
Sa particularité ? Etre l'arrière-arrière-petite nièce d'Harriet Brooks.
Une très belle manière de porter la flamme de son ancêtre et de lui rendre hommage.
Découvrez comment elle parle d'Harriet... et parlez-en aussi, comme elle vous invite à le faire à la fin de sa présentation. 

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