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Sébastien Fritsch, Ecrivain
30 octobre 2012

La lettre qui allait changer le destin d' Harold Fry arriva le mardi... - Rachel Joyce

La_lettre_qui_allait_changer_le_destin_d__Harold_Fry_arriva_le_mardiRien de plus simple que de vivre au même endroit avec la même personne pendant des décennies. Rien de plus simple que de laisser passer le temps. Et se taire. Et s'ignorer.
Et rien de plus simple, rien de plus banal, que de recevoir une lettre. Et rien de plus simple que de marcher. Il suffit de mettre un pied devant l’autre.
Tout dans ce roman est excessivement simple et banal. Et c'est en cela que cette histoire est touchante. C'est justement à cause de cette simplicité qu'Harold Fry parvient à nous entraîner avec lui sur les routes d'Angleterre. Son existence éteinte, son manque d'ambition, de courage, l'insignifiance de ses journées, son amertume, son désœuvrement, ce sont un peu les nôtres. Et une fois qu’il commence à marcher, nous retrouvons encore des échos de nos propres vies : les rencontres qu'il fait au long de son périple (personnages simples et banals eux aussi), ce sont un peu des reflets de nous-mêmes. Ils sont fragiles, blessés, déprimés ou au contraire terriblement enjoués (ce qui, dans certains cas, n’est qu’un moyen de taire des peines plus profondes) ; et ils se prennent tous  d’enthousiasme pour cet homme qui marche – cet homme qui bouge, qui sort de sa vie à l’horizon étroit, cet homme qui ose.
Evidemment, si l’on s’identifie à l’un ou l’autre des seconds rôles de ce roman, il y en a d’autres que l’on ne voudrait pas être pour tout l’or du monde. Mais ils sont dépeints avec une telle justesse, une telle simplicité (eh oui, encore ce mot !) qu’on ne peut s’empêcher de se dire qu’on a connu ou que l’on connait encore l’un de leurs semblables.
Tout serait-il donc si simple dans ce roman ? Eh bien non. Car il y a tout de même la folie du défi que se lance Harold Fry (ou dans lequel il se trouve emporté sans vraiment s’en rendre compte) : parcourir mille kilomètres à pied, sans entraînement, sans équipement, alors qu'il serait si facile (et beaucoup plus raisonnable) de prendre un train ou une voiture. Et pourquoi faire tout ce chemin ? Pour guérir Queenie, celle qui lui a écrit cette fameuse lettre. Une femme qu’il n’a plus vue depuis vingt ans. Oui, une vraie folie. Mais on y croit. On veut qu’il arrive. On veut arriver avec lui. Même si, comme Harold, on craint d’arriver, de connaître la fin de l’histoire.
Ce roman est vraiment très émouvant, par bien des aspects. Et il parvient aussi à être prenant, à donner envie de tourner les pages, comme on met un pied devant l’autre. Des qualités qui en font un moment de lecture à la fois agréable et porteur de réflexion.
Alors, pour faire bonne mesure, je vais quand même signaler quelques défauts : des petites étrangetés dans la traduction, qui donnent des phrases un peu absconses (mais on passe dessus) ; des comparaisons à but sans doute poétique mais qui s’avèrent finalement très maladroites (comme le fait de comparer les mouvements des fleurs des champs au mouvement de fleurs en papier… Bizarre) et, un peu avant la fin, des révélations qui n’en sont pas vraiment, puisqu’elles nous exposent des évènements qu’on avait imaginés depuis un bon moment.
Mais (car il y a un grand mais !) on oublie tous ces petits défauts quand on lit les derniers chapitres. L’auteur touche là le summum de la simplicité, avec des scènes d’une grande tendresse, élégantes et pudiques, des scènes difficiles mais vraies, très simples et très banales, elles aussi. Des scènes qui nous concernent tous. Et c’est là la grande force de ce roman : nous pousser à réfléchir à ces petits riens qui font nos vies, ces petits riens qui, selon ce qu’on en fait, nous entraînent vers l’ennui, l’isolement, la tristesse ; ou ces petits riens qui, au contraire, peuvent nous mettre en marche.
Il suffit de mettre un pied devant l’autre. 

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