Fin mars, début avril (2)
Tu prends un sucre dans ta main tremblante. Tu t'y reprends à quatre fois pour le briser en deux. Tu remets une moitié dans le pot et tu laisses glisser l'autre dans ta tasse de café.
Je ne dis rien.
Tu commences à remuer ta cuiller lentement, en regardant ce geste circulaire de ton poignet. Puis tu la poses sur la soucoupe.Tu saisis l'anse entre le pouce et l'index, mais tu ne soulèves pas la tasse : tu te contentes de la tenir, ou de t'y tenir, comme si cette fine porcelaine était plus solide que toi.
Tu reportes ton regard laiteux vers la fenêtre. Tu contemples au travers des voilages la lumière grise de ce triste jour d'été pluvieux.
"Je vais partir", me dis-tu, sans te tourner vers moi.
Je ne réponds rien.
"Je ne peux pas rester ici".
Tu te détournes vivement et me regardes enfin.
"Cet appartement est trop grand pour moi, ajoutes-tu. Il faut que je parte. Oui. Je n'ai pas le choix."
Tu laisses flotter un silence, toujours le même, au même moment.
"Et puis, j'ai déjà une place réservée, pas très loin d'ici : ça s'appelle les Chants d'Oiseaux."
Deuxième silence. Je connais aussi sa durée.
"Il parait que le personnel est gentil. Je serai mieux là-bas qu'ici, tu ne crois pas ?"
J'hésite une courte seconde. Puis je profère à voix basse ma réplique habituelle : "Oui, sûrement".
"Le temps de tout régler, je peux y être dans un mois. Oui, je pense pouvoir emménager là-bas fin mars, début avril."
Tu semble satisfait d'avoir prononcé cette phrase. Tu bois enfin ton café. Je t'imite.
Dans quelques secondes ma tasse sera vide. Nous n'échangerons plus que trois mots. Je te promettrai de revenir dans une semaine. Et avant même que je sorte, tu auras déjà reporté ton regard vers la fenêtre. Je fermerai la porte sans bruit. Je saluerai peut-être une ou deux aide-soignantes dans le couloir. Elles me souriront. C'est vrai que le personnel est gentil.