Tu nous as manqué, tu sais ?
Oui, oui, je sais. Je sais que si je ne viens pas de nouveau à votre rencontre, vous ne connaîtrez pas la fin de votre histoire. Et je comprends que ça puisse vous déplaire. Mais vous m'avez manqué aussi, vous savez ?
Quand j'ai ouvert le fichier "Invitation pour la petite fille qui parle au vent", début mars, j'ai vu que cela faisait dix-huit mois que je n'y avais pas mis les yeux. Dix-huit mois sans vous, Estelle, Clara et Salomé. Et les autres aussi : Thomas, Mademoiselle Valentin, Alice, et Bob, et Manon, et Julien, et tous les autres personnages secondaires. Dix-huit mois parce que je voulais finir un autre roman. Dix huit mois parce que la vie, celle qui existe en dehors des romans, a aussi ses exigences. Ce n'est pas si simple d'être écrivain, j'espère que vous le comprenez. C'est comme vous : vous êtes mes personnages, mais vous avez aussi votre vie à mener. Il faut que la rencontre entre nous se passe au bon moment, et pour vous, et pour moi.
Quoi qu'il en soit, malgré ces dix-huit mois passés loin les uns des autres, j'ai eu l'impression de vous retrouver comme si nous nous étions quitté la veille. C'est ce qui arrive entre les vrais amis. Ce qui veut sans doute dire que le moment de la rencontre est arrivé.
Alors, maintenant, c'est promis : je ne vous laisserai pas poireauter dix-huit mois de plus : je vous conduirai jusqu'au point final. Moi, je sais déjà à quoi il ressemble. J'espère simplement qu'il vous conviendra. Enfin, de toute façon, je me doute bien que vous ne vous gênerez pas pour me dire si ça vous déplait. Les personnages de roman ont rarement de la pitié pour leur auteur. La compassion est un sentiment qui n'a pas de réciproque.
Bien sûr, ça ne sera pas facile tout le temps : il me faut me replonger dans vos décors, m'imprégner de nouveau de vos états d'âme, apprendre de nouveau chaque détail de vos vies, en faire mes propres souvenirs. Comme si ces dizaines de vies qui sont les vôtres avaient, dans un passé lointain, été les miennes. Et puis me jeter à l'eau, compléter les 210 pages que j'ai déjà écrites pour vous, remplir les creux, polir les excroissances inutiles, lutter à la fois contre le "trop" et le "pas assez". Ecrire un roman, en somme.