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Sébastien Fritsch, Ecrivain
14 janvier 2009

Pascal Tarraire et Christophe Gourin - Âmes Soeurs

" Âmes Soeurs " est un album de photographies à six regards, comme il existe des partitions à quatre mains ou des livres à deux voix.
Tarrare_Gourin_ames_soeurs
Les deux premiers regards, fondateurs, sont ceux des deux modèles : deux soeurs, Estelle et Sylvia, dont la beauté claire et simple affiche une troublante similitude tout en révélant, quand on observe plus en détails les clichés, une évidente dissemblance. Cette confusion est voulue, elle est le fil conducteur de l'album ; elle est entretenue, de page en page, par les deux seconds regards, ceux des deux photographes, Pascal Tarraire et Christophe Gourin. C'est seulement à la fin que l'on peut savoir qui est l'auteur de chacun des clichés. Ensuite, en observant bien (et en se référant à l'index, quand même) on peut retrouver la patte de l'un ou de l'autre sur chaque photographie. Comme on retrouve les dissemblances entre les deux soeurs lorsque l'on s'attarde sur chaque page.
Ainsi, puisque tel est le principe de ce livre, on retrouvera Estelle sous le regard de Pascal ou Sylvia sous le regard de Christophe, ou Sylvia vue par Pascal et Estelle photographiée par Christophe, mais sans savoir qui est intervenu, pour que la confusion soit notre seule guide. Et, pour augmenter encore cette confusion, le livre est parcouru d'échos et d'effets de miroirs : l'attitude de l'une des soeurs répondra à l'attitude de l'autre, tandis que les clichés de l'un des photographes reprendront le sujet ou la composition de ceux de l'autre ; à moins que ce ne soit la même femme, photographiée par le même homme, qui se réponde à elle-même, apaisant d'un sourire tendre la mélancolie surprise deux pages plus tôt, ou offrant un regard de petite fille espiègle, sous un bonnet de laine et une écharpe épaisse, alors que quelques feuilles plus loin, dans une chambre vide, elle aura tout quitté : écharpe, bonnet et tout le reste, n'autorisant plus sur sa peau que la lumière et le regard du photographe. Comment savoir, puisque sa soeur se montrera elle aussi sous ces différents visages, reprenant les mêmes décors, les mêmes mises en scène ? A quelques détails près ; comme pour apporter, malgré tout, quelques preuves de son identité.
Finalement, outre la beauté des images (impossible à rendre dans ce billet sinon en disant : elles sont superbes !), c'est la question de l'identité qui est au coeur de ce livre. L'identité, la personnalité, l'orginalité, la particularité de chacun, particularité des corps, des histoires, mais aussi la particularité de ce que nous faisons... ou ce que nous créons, en l'occurence, puisque la question est posée ici à propos d'un travail d'artiste.
Et, comme un corrolaire à cette idée, vient ensuite la question des rapports que l'on peut entretenir avec ceux qui approchent nos particularités, ceux qui nous ressemblent, sont presque nous. Entre affection et jalousie, compréhension mutuelle et besoin de se distinguer, envie de partage et désir d'indépendance, jusqu'à un mélange étrange et cruel entre des pulsions de liberté totale et de possession de l'autre.   
Pour éclairer tout cela, il  ya les mots de Dalie Chrifi Alaoui... même si éclairer des images par des mots peut paraître étrange. Mais c'est pourtant cela : une ligne parcourt, souligne, explore les pages de l'album de Pascal Tarraire. Une ligne parfois en sous-entendus, parfois en vérité crue. Et, surtout, une ligne qui se marie à la perfection avec les images. Non seulement parce qu'elle en partage la saveur poétique, l'admirable esthétique, mais aussi parce qu'elle partage avec les clichés le parti pris de la confusion : les phrases sont parfois tendres, parfois agressives, parfois nostalgiques, parfois décidées et tranchantes, et surtout, elle sont parfois au féminin, parfois au masculin. Alors, qui parle ? Sylvia ? Pascal ? Estelle ? Christophe ? Qui est qui ? Et qui est l'âme soeur de l'autre ? Ce cinquième regard, celui de l'écrivain qui accompagne les images, nous porte vers le centre du questionnement que propose ce livre.
Et le sixième regard ? C'est le votre, évidemment : le regard qui effleurera les questions et les yeux espiègles, la peau nue et la lumière tamisée, la mélancolie et la fierté, la beauté et le temps qui passe. C'est ce sixième regard qui donne vie aux images fixées sur le papier. C'est ce sixième regarde qui entre dans ce jeu sans en connaître les règles et peut donc ce laisser porter par les questions.
On pourrait résumer cela en disant que le regard des modèles est un roman et que celui des photographes en ouvre à chaque fois une page différente, sur laquelle les yeux du lecteur ne peuvent voir que quelques paragraphes. Alors, il faut revenir, oser découvrir d'autres phrases. Et finalement apprendre à lire entre les lignes.

J'avais déjà parlé de Pascal Tarraire ici.
Vous pouvez lire un article de presse parlant d'Âmes Soeurs
ici.
Et vous pouvez rencontrer Pascal Tarraire et Christophe Gourin à la Fnac de Clermont-Ferrand Samedi 17 janvier à partir de 15 heures, lors d'une séance de dédicace de leur ouvrage.

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Commentaires
S
@ Dalie : merci d'être passée par ici pour déposer ce message. Le texte d'Âmes Soeurs est vraiment tout aussi réussi que les images et si bien assorti: je me devais de parler des deux.
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D
je suis l'auteure des échos littéraires. Belle analyse, j'apprécie la finesse.<br /> au plaisir de vous lire.<br /> dalie
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S
@ Ondine, je suis sûr que tu peux te le faire livrer au Québec. De là à dire qu'il peut être étudié en classe... mmh... tout dépend de l'âge des élèves.
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O
Intéressant, tout ça... Justement, j'amorce bientôt un segment photo avec ma classe d'ados...
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