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Sébastien Fritsch, Ecrivain
11 septembre 2008

Javier Cercas - Les Soldats de Salamine

Il m'en aura fallu, du temps, pour venir à bout de ce roman / récit / biographie /autofiction (que ceux qui l'ont déjà lu cochent la case correspondante).
Il y a pourtant quelques belles pages (entre les pages 110 et 130, à peu près, et surtout entre les pages 159 et 237 : ce fragment-là correspond en fait à la troisième partie du livre, la seule qui ait un peu de vie. Mais peut-être que les 158 précédentes pages ne sont qu'une introduction à cette troisième partie, qui constitue, de fait, à elle seule, le roman proprement dit. Allez savoir !)
Dans ce roman, intitulé "Les Soldats de Salamine", Javier Cercas raconte comment il a eu l'idée d'écrire un "récit réel", qu'il intitulerait "Les Soldats de Salamine" et dont l'idée de départ est un épisode de la guerre d'Espagne, mettant en scène Rafael Sanchez Mazas. Cet homme, l'un des fondateurs de la Phalange et l'un des principaux, sinon le principal, théoricien du mouvement fasciste qui prendra le pouvoir en Espagne sous les traits de Franco, a passé trois ans en prison, avant que son camp ne remporte la guerre civile. Mais, surtout, il a failli être fusillé : à quelques jours de la prise de contrôle totale et définitive de la Catalogne par les fascistes, les républicains ont procédé à une exécution groupée de tous les prisonniers un peu importants que contenait la prison du Collel, près de Gérone. Ces hommes sont rassemblés et conduits dans la forêt voisine. Mais, au moment où les premiers coups de feu retentissent, deux ou trois d'entre eux se jettent dans les fourrés voisins puis prennent leurs jambes à leur cou et foncent droit devant eux. Sanchez Mazas est l'un de ceux-là.
Cependant, ce ne sont pas uniquement ses aptitudes de coureur qui le sauveront de la mort : sa fuite ne l'emmènera pas bien loin, puisque, se sachant poursuivi et incapable de tenir longtemps, il se planquera dans un petit recoin, en se couvrant de feuilles et de branchages. Et c'est là que l'un des miliciens lancés à sa poursuite le trouvera. Les deux ennemis, Sanchez Mazas et l'homme armé, se dévisageront pendant un long moment. Sanchez Mazas ne bougera pas de son terrier improvisé. Le communiste restera immobile également, ruisselant de pluie, les mains cramponnées sur son arme. Puis, sans quitter le fuyard des yeux, il lancera à ses compagnons, occupés à fouiller d'autres buissons : "Par ici, il n'y a personne !" Et il partira.
Javier Cercas nous fait connaître cet épisode dès le début de son roman. Et c'est cette petite anecdote qui lui donne l'envie de se remettre à écrire, lui qui a abandonné, quelques années plus tôt, l'idée d'être écrivain, après le bide de ses deux premiers romans. Il va donc se mettre en tête de rechercher des gens qui ont connu cette période de la Guerre Civile, mais surtout des gens qui ont été impliqué dans l'éxécution de la prison du Collel ou ses suites.
Il retrouvera notamment la trace de l'autre "échappé du peloton", qui, depuis, a écrit un livre sur ce sujet. Il retrouvera aussi les fermiers qui ont accueilli Sanchez Mazas, après quelques jours d'errance dans la forêt. Il retrouvera de même trois déserteurs de l'armée républicaine qui ont tenu compagnie au ponte fasciste, dans cette même forêt, en attendant que les troupes de Franco arrivent jusqu'à eux. Et il retrouvera encore, dans la troisième partie du roman, une dernière personne, un vieillard qui fut soldat pendant cette guerre et bien d'autres ensuite et qui finit ses jours dans un hospice de la banlieue de Dijon.
Voilà donc, en gros, le contenu du roman. Mais tout ça arrive de façon plutôt désordonnée, que ce soit les entretiens avec les témoins de l'époque ou les bribes de la vie de Javier Cercas, qui ne sait pas par où commencer à écrire son histoire. Par ailleurs, beaucoup de points sont survolés, sans jamais être approfondis et on a l'impression de contempler une exposition de petits tableaux, juxtaposés sur un mur, sans aucune explication, aucune possibilité d'approfondir chaque sujet.
Sanchez Mazas, qui était écrivain et poète, fut, par ses écrits, un grand inspirateur des fascistes espagnols. Ah bon ? Comment ? On ne le sait pas.
Dans les gouvernements de Franco, il occupera à un moment donné un poste de ministre, mais la politique ne l'intéressant pas, il prendra cette fonction un peu par dessus la jambe. C'est-à-dire ? Qu'a-t-il fait précisément ? A-t-il voulu vraiment se démarquer de Franco ? Javier Cercas ne donne pas de précisions à ce sujet.
Sanchez Mazas a également promis à ses "amis de la forêt", les trois déserteurs qui ont vécu avec lui, de tout faire pour eux, une fois qu'il aura retrouvé la place d'honneur à laquelle il a droit, auprès de Franco. Il fera effectivement libérer des prisonniers, sur la demande de ses "amis de la forêt" ou des fermiers qui l'ont nourri, mais on passe là-dessus à toute vitesse.
Ce ne sont que des exemples, mais, j'ai vraiment eu l'impression qu'à force d'accumuler de simples "constatations"  (ils ont fait ci, ils ont dit ça) il n'y a finalement pas vraiment d'histoire, dans ce livre, et pas vraiment de vision de l'Histoire non plus, alors qu'on aurait pu s'y attendre. Et j'ai même eu l'impression qu'il n'y avait pas non plus d'idées. Je ne parle pas d'idéologie : le but de Javier Cercas n'est évidemment pas de démontrer qui, parmi les communistes ou les fascistes, étaient les bons et les mauvais ni qui avait raison. Je parle des deux idées qui fondent le roman / récit / biographie / autofiction : premièrement, la difficulté de l'écrivain à donner naissance à un livre à partir d'une idée, et deuxièmement, la notion d'héroïsme et tous ses corrolaires (courage, dévouement, magnanimité vis-à-vis de l'ennemi). Ces deux grands concepts sont, à mon sens, tellement survolés, qu'on ne parvient pas à vraiment les toucher du doigt.

Pourtant, il y a la troisième partie.
Il faut lire ce livre pour cette troisième partie. Mais comme on ne peut pas la comprendre sans avoir lu les deux précédentes, il faut lire tout le livre.
Dans cette troisième partie, il y a de l'humanité, il y a des leçons de vie, à la fois à propos de la vie de l'écrivain, mais aussi à propos de la vie de ces combattants, dont certains furent des héros. Et l'on aperçoit avec un peu plus de précision ce que peuvent être les deux grandes idées que Javier Cercas voulait faire passer dans son livre... même si, là encore, il y a certaines pages de survol qui nous éloignent un peu du sujet.

CERCAS_les_soldats_de_Salamine

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Commentaires
S
@ Morena, alors je ne suis pas le seul à avoir été déçu ! Effectivement, si tu souhaitais te plonger dans l'époque de la Guerre Civile en ouvrant ce livre, je comprends que tu aies été frustrée.
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M
J'attendais également beaucoup de ce roman (moi et la guerre civile espagnole, c'est une longue histoire et je dévore tout ce qui me tombe entre les mains à ce sujet), et j'ai également été désarçonnée. A tel point que quelques années après l'avoir lu, je ne me souviens même plus de la troisième partie dont tu parles. preuve que les deux autres ont laissé une plus grande marque dans mon esprit...
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