Muriel Barbery - L'Elégance du Hérisson
Enfin ! Enfin, je me suis résolu à abandonner ce roman.
En fait, ça doit bien faire six mois qu'il est sur ma table de nuit, avec un marque page glissé entre les pages 164 et 165. Et, depuis six mois, à chaque fois que je termine un livre, je me demande si je vais reprendre "L'Elégance du Hérisson" ou commencer autre chose. Et je commence toujours autre chose.
Alors évidemment, j'aurais pu m'arrêter avant la 165ème page ou, au contraire, oser aller jusqu'à la moitié (le livre compte 357 pages donc la moitié c'est 178,5 : je n'étais pas loin). En plus, à la moitié, il se passe toujours quelque chose d'extraordinaire, ce qui aurait peut-être pu relancer mon intérêt. En plus, des milliers (millions?) de gens ont adoré ce livre, dont une personne que je connais très très très bien et qui m'avait chaudement recommandé cette lecture. Mais je n'ai pas pu.
Je crois que la principale raison est que les personnages ne m'ont pas accroché. Or, dans un roman basé uniquement sur les états d'âmes et la vie quotidienne des personnages et (un peu) sur les relations entre eux, si l'on ne se sent pas "accroché" par ces personnages, on ne risque pas de trouver le moindre intérêt.
Alors bien sûr, on peu aussi parler des pensées philosophiques, de la culture débordante, du style de Muriel Barbery, qui pourraient constituer une autre raison de s'accrocher. Ben non. Pas pour moi, en tout cas.
Mais procédons par ordre : parlons d'abord des personnages. Je ne vais pas rentrer dans le détail, puisque des milliers (des millions ?) de gens savent déjà de quoi ça parle (et en plus, depuis six mois, j'ai oublié pas mal de choses). Mais bon, franchement, la concierge aussi repoussante à l'extérieur que raffinée à l'intérieur, je n'y ai pas cru une seconde. Ce n'est pas que les concierges n'aient pas le droit d'être cultivées, mais si elles le sont, elles peuvent le montrer, personne ne leur en voudra. Sauf peut-être dans les images d'Epinal où l'on se doit de respecter les poncifs. Poncifs que Madame Barbery manie avec talent : le descriptif extérieur, c'est le portrait robot de la concierge que l'on ne voit plus nulle part et le descriptif intérieur, c'est un galimatias culturel caricatural qui confine au snobisme. Le message semble être : si vous voulez vous montrer cultivé, asurez-vous d'abord qu'il n'y a pas plus de huit personnes au monde qui savent de quoi vous parlez. Bon, d'accord, j'exagère un tout petit peu.
Même impression avec la jeune suicidaire, que j'ai jugée vraiment trop irréelle. Des ado, des pré-ado et même des enfants qui se suicident, ça existe, malheureusement. Mais je les imagine plus aisément poussés par un coup de tête ou, si ce n'est pas le cas, c'est-à-dire s'ils préparent leur acte pendant des mois, je les vois plus torturés, plus noirs, plus démoralisés que cette petite pimbêche suffisante. Le suicide comme acte artistico-philosophico-protestataire c'est peut-être plus le fait de vieux écrivains revenus de tout ou blessés par la perte d'un amour, que de gamine surdouée de 12 ans.
Ensuite, passons à la culture pharaonesque de Dame Barbery. A quoi ça sert ? A part à accrocher le lecteur (pas moi, les autres lecteurs, ceux qui sont cultivés) en disant : "Tu vois, on aime le cinéma japonais tous les deux, donc tu dois lire mon livre, on aime ceci-cela, tu dois lire mon livre, etc".
En fait, j'écris "ceci-cela" parce que je ne me souviens pas trop des sources d'émotions de Renée la concierge. Parce que ça ne m'intéresse pas. Pour moi, ça ressemble ni plus ni moins à ce que l'on nomme le "name dropping" : l'auteur jette des noms comme des bouées auquel le lecteur peut se raccrocher pour avoir l'impression d'être dans un monde qu'il connait (et s'il ne connait pas, il est impressionné, se sent tout petit et continue sa lecture à genoux devant une photo de Muriel Barbery posée sur sa table de nuit, avec des cierges autour et de l'encens japonais qui emplit la pièce). Si l'on revient au cas du lecteur cultivé, cet étalage de références littéraires, cinématographiques et philosophiques est censé créer une empathie, une communion d'esprit entre les deux acteurs du livre (celui qui l'écrit et celui qui le lit).
A y bien réfléchir, Anna Gavalda fait la même chose, sauf que c'est avec des marques de chaussures. Et, en plus, je suis allé jusqu'au bout de son roman "Ensemble, c'est tout". Camille, sa femme de ménage portée sur les dessins à l'encre de chine et l'alcool était bien plus réaliste. Et surtout, on comprend assez rapidement la raison qui faisait qu'elle récurait les chiottes et se retenait de dessiner. Et ça paraît beaucoup plus réaliste. Bon, bien sûr, je subodore qu'à la page 357 du Hérisson, on a la révélation et que l'on saisisse alors les motivations profondes de la Renée. Peut-être. Mais je ne lirai jamais la page 357. Adieu le Hérisson.