Un lieu pour écrire
Se lever vers quatre ou cinq heures. Descendre sans un bruit l'escalier de bois clair. Se savoir riche des cinq sommeils que l'on laisse à l'étage.
D'abord, préparer le café. Pendant qu'il passe, regarder par la fenêtre la nuit qui vit encore. Il n'y a pourtant rien à voir (pour l'instant), mais c'est toujours rassurant de regarder l'obscurité, le froid, la pluie, quand on est du bon côté du carreau. En spectateur.
Le café est prêt. Deux larges tranches de pain corrézien, une bonne couche de confiture de mûres viennent s'assembler autour, en bons amis. Semblerait-il que la nuit s'approche, pose le nez sur la vitre, comme attirée par ces parfums ?
Allumer l'ordinateur. Se servir une autre tasse. Et se lancer, se plonger au milieu des lignes. Un lieu pour écrire, c'est un lieu qui donne ce sentiment de conquête. Une conquête bien simple, mais si douce au coeur : celle de la liberté.
De temps en temps, il faut reprendre souffle, relever le nez de l'écran, pour voir le temps passer. Parce que dans l'écriture, il n'existe plus. Et tant que la nuit est là, rien ne permet de supposer qu'il recommencera à exister.
Pourtant le temps revient. On ne le compte pas encore en minutes, mais il se révèle peu à peu par les ombres qui renaissent, se détachent de l'obscurité. Puis, elles s'avivent, s'éclaircissent. C'est alors que vient le moment. Oui, le meilleur moment : quitter sa chaise, gagner la porte, l'écarter, poser les pieds nus sur la pierre du seuil. Elle est glaciale, assortie au bleu teinté d'anthracite qui s'éveille derrière les arbres. Assortie à la rosée qui voile les herbes hautes et les buissons des haies. Quel moment unique, celui qui permet de laisser l'aube venir poser son baiser pâle sur mes yeux.
Ensuite, je retourne écrire. Je me sens plus humain et redevenu partie du monde. Car pied nus face à l'aurore, avec des pages en attente d'écriture, j'ai pu vivre ce délicieux paradoxe : me sentir faible et fort à la fois. Et d'autant plus fort face à l'écriture que j'étais faible face au monde. Et quand je dis faible, je dis fragile, temporaire, presque inutile. Je réapprends ainsi, à chaque fois, l'humilité ; cet outil indispensable à tout écrivain.
Cette maison n'est pas le seul endroit où j'arrive à travailler. J'écris n'importe où (un train, une salle d'attente, un jardin, la cuisine...) tant l'écriture est capable de m'extraire de tout ce qui m'entoure (mais ce n'est pas une raison pour rater le fameux moment, décrit plus haut). Mais cette maison (dans laquelle nous avons passé deux semaines en 2005 et une semaine cet été) a des aubes qui, malgré tout, ont plus le goût de la liberté que tous ces autres lieux. C'est là que j'ai sorti "Le Sixième Crime" en 2005. C'est là que j'ai retravaillé "Pour la Voix d'Elise", la semaine dernière.
Et vous, qui lisez ces lignes, où, quand, comment écrivez-vous le mieux ?