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Sébastien Fritsch, Ecrivain
23 août 2007

Un lieu pour écrire

Se lever vers quatre ou cinq heures. Descendre sans un bruit l'escalier de bois clair. Se savoir riche des cinq sommeils que l'on laisse à l'étage.
D'abord, préparer le café. Pendant qu'il passe, regarder par la fenêtre la nuit qui vit encore. Il n'y a pourtant rien à voir (pour l'instant), mais c'est toujours rassurant de regarder l'obscurité, le froid, la pluie, quand on est du bon côté du carreau. En spectateur.
Le café est prêt. Deux larges tranches de pain corrézien, une bonne couche de confiture de mûres viennent s'assembler autour, en bons amis. Semblerait-il que la nuit s'approche, pose le nez sur la vitre, comme attirée par ces parfums ?

Allumer l'ordinateur. Se servir une autre tasse. Et se lancer, se plonger au milieu des lignes. Un lieu pour écrire, c'est un lieu qui donne ce sentiment de conquête. Une conquête bien simple, mais si douce au coeur : celle de la liberté.
De temps en temps, il faut reprendre souffle, relever le nez de l'écran, pour voir le temps passer. Parce que dans l'écriture, il n'existe plus. Et tant que la nuit est là, rien ne permet de supposer qu'il recommencera à exister.
Pourtant le temps revient. On ne le compte pas encore en minutes, mais il se révèle peu à peu par les ombres qui renaissent, se détachent de l'obscurité. Puis, elles s'avivent, s'éclaircissent. C'est alors que vient le moment. Oui, le meilleur moment : quitter sa chaise, gagner la porte, l'écarter, poser les pieds nus sur la pierre du seuil. Elle est glaciale, assortie au bleu teinté d'anthracite qui s'éveille derrière les arbres. Assortie à la rosée qui voile les herbes hautes et les buissons des haies. Quel moment unique, celui qui permet de laisser l'aube venir poser son baiser pâle sur mes yeux.
Ensuite, je retourne écrire. Je me sens plus humain et redevenu partie du monde. Car pied nus face à l'aurore, avec des pages en attente d'écriture, j'ai pu vivre ce délicieux paradoxe : me sentir faible et fort à la fois. Et d'autant plus fort face à l'écriture que j'étais faible face au monde. Et quand je dis faible, je dis fragile, temporaire, presque inutile. Je réapprends ainsi, à chaque fois, l'humilité ; cet outil indispensable à tout écrivain.

Photo_440

Cette maison n'est pas le seul endroit où j'arrive à travailler. J'écris n'importe où (un train, une salle d'attente, un jardin, la cuisine...) tant l'écriture est capable de m'extraire de tout ce qui m'entoure (mais ce n'est pas une raison pour rater le fameux moment, décrit plus haut). Mais cette maison (dans laquelle nous avons passé deux semaines en 2005 et une semaine cet été) a des aubes qui, malgré tout, ont plus le goût de la liberté que tous ces autres lieux. C'est là que j'ai sorti "Le Sixième Crime" en 2005. C'est là que j'ai retravaillé "Pour la Voix d'Elise", la semaine dernière.

Et vous, qui lisez ces lignes, où, quand, comment écrivez-vous le mieux ?

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Commentaires
S
@ Lina : Amusant cette vision du "non-officiel" que tu as à propos de l'écriture manuscrite. Et pas mal non plus, également, ta technique de l'écriture illisible pour conserver l'intimité. <br /> Sinon, entre temps, je me suis rendu compte que j'avais un peu menti dans mon précédent message : il m'arrive d'écrire à la main, mais c'est uniquement pour les poèmes. Peut-être le côté sensitif du crayon sur la feuille (dont je parlais tout à l'heure) justifie-t-il cette exception. Et puis, dans certains cas, la guitare sur les genoux empêche de se placer en face du PC.<br /> <br /> @ Ondine : je note dans ton message que tu travailles "avant que le bruit n'envahisse la maison". Même besoin de silence, de solitude, d'intimité. <br /> Ecrire au jardin est aussi un grand plaisir. <br /> Tu parles aussi de se repasser (se graver) les idées dans la tête pour ne pas les laisser filer. C'est effectivement un petit jeu auquel je m'adonne également. Mais parfois, la peur est trop grande de perdre une phrase "géniale". Alors le premier bout de papier qui traine pourra servir de pense bête.
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O
J'ai l'avantage d'avoir un PC portable, ce qui me permet d'écrire dans mon bureau (avant que le bruit envahisse définitivement la maison) ou au jardin, les après-midi de beau temps (mais forcément, la nature rend l'activité légèrement plus distrayante). Mais avant tout ça, bien sûr, j'écris dans ma tête, souvent la nuit, dans un demi-sommeil, alors que je fais l'effort de revenir deux, trois fois sur l'idée pour être certaine qu'elle restera imprégnée au matin.
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L
Je crois que dans le papier et le stylo il y a le brouillon. J'ai besoin de ce premier passage où rien n'est officiel, pas de censure, je peux tout écrire (c'est pour de rire pas vrai? c'est juste un peu de griffonnage!) En plus j'écris plus vite qu'à l'ordinateur ;-) donc pas le temps de m'auto-censurer! DU coup je suis illisible, personne ne pourra jamais me relire... la boucle est bouclée et l'intimité complète!
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S
Ecrire dans sa tête, bien sûr : c'est ainsi que tout commence (une idée qui traverse le chemin quand on se ballade, un visage que l'on croise, une phrase qui se roule en pelote, puis se dévide et enfin se tisse dans un coin de la tête. Par contre, il ne faut pas l'oublier !)<br /> L'intimité : très important aussi ! Je ne supporte pas qu'on lise par dessus mon épaule quand j'écris. Et puis, j'ai besoin de silence.<br /> Ecrire au lit : jamais ! Ce n'est pas une question de tâches d'encre (j'écris sur PC), mais de confort : j'aime être bien assis. C'est sans doute lié à mon grand âge !<br /> Mais je comprends ton goût pour l'écriture au stylo. C'est un contact qui donne à l'écriture une dimension supplémentaire, sensitive. Mais je n'ai pas le temps d'écrire à la main et de recopier ensuite. Et j'écris plus vite sur un clavier qu'avec un stylo ! Chacun ses petites habitudes !
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L
J'écris souvent dans ma tête (en voiture, le meilleur, en train aussi), je griffonne un peu partout mais pour écrire, écrire et que le temps s'arrête, j'ai besoin d'intimité. Alors j'écris souvent au lit, cachée. (je confirme, difficile de faire partir les taches d'encre sur les draps. c'est une autre manie: d'abord au stylo, comme une répétition ;-))
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