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Sébastien Fritsch, Ecrivain
30 mai 2007

Le Mariage d'Anne d'Orval - Les premières lignes

Depuis trois jours, la neige tombait. Sur le sol étouffé par déjà quatre mois d'hi­ver, elle ajoutait avec patience ses flocons lents et tendres. Son voile pesant, tendu tout autour, entre le ciel et le sol, masquait encore l'oeuvre promise. Mais pour qui connaissait, comme Eve, la planèze et son cadre, la scène qui se ré­vélerait en fin d'ouvrage ne serait pas une surprise. Elle serait pourtant un ra­vissement : au loin, les arêtes adoucies des cimes ; à leurs pieds, les forêts et la lande transfigurées ; plus près encore, vers le sud, les gorges abruptes et sau­vages, peuplées de chênes et de hêtres au caractère ombreux et soumises à la garde de quelques pitons noirs qui seuls survivraient à l'invasion nivale.
Les couleurs des saisons étaient l'une des rares joies qui animaient les jours d'Eve d'Orval. Même dans le froid, même dans le vent, elle se plaisait à monter sur les courtines pour redécouvrir - ou ré-imaginer, comme en ce jour - ce paysage immuable que seul le temps renouvelait, le long temps immobile qui régnait sur sa vie comme sur les murailles noires du château de son époux.
C'est au cours de cette contemplation qu'elle sentit la première douleur dans son ventre. Dans un réflexe, elle enfonça sa main dans la neige qui couvrait un merlon et s'appuya sur la pierre glacée. Elle resta un long moment ainsi. Le froid détournait son esprit de la douleur qui s'estompait. Elle tenta à nouveau de porter son regard au plus loin - sur la brume grise noyant les arbres alentour. Elle ne put retrouver le fil de sa rêverie. Son premier enfant allait naître - aujourd'hui même ou le lendemain - et elle avait peur.
Une autre contraction la saisit. Regarder encore le vide grisâtre ; souffrir encore la morsure du froid sur ses doigts ; sentir encore la neige venir piquer son visage ; retarder encore ce moment.
Mais un spasme insoutenable la traversa et lui fit lâcher prise. Des deux mains, dont une bleuie, elle ceignit son ventre. L'éclat vif qui l'avait assaillie n'en finissait pas de s'effacer. Elle comprit alors qu'elle devait faire face.

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